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Ottawa, le 16 mai 2019

Dossier de la CIDPHN: 120-719-C1-1

 

PAR COURRIER RECOMMANDÉ

 

 

Directrice, Affaires opérationnelles

Garde côtière canadienne

200 rue Kent (5N177)

Ottawa, ON, CA  K1A 0E6

 

 

Objet : Déversement d’origine inconnue (N/M Maccoa) – Port de Québec, QC – Date de l’événement : 8 mars 2017

 

Nous avons complété notre enquête et évaluation de la demande d’indemnisation de la Garde côtière canadienne (GCC) chiffrée à 11 139,48 $ concernant l’intervention datée du 8 au 10 mars 2017 en raison du déversement allégué d’hydrocarbures causé par le vraquier Maccoa dans la section 28 du port de Québec.

À la vue de l’ensemble du dossier – notamment la décision en révision du Tribunal d’appel des transports du Canada (TATC) dans M/V Maccoa c Canada (Ministre des Transports), 2018 TATCF 26, ainsi que le rapport d’expertise produit par l’armateur – nous concluons qu’aucun déversement d’hydrocarbures causé par un navire n’a eu lieu en l’espèce.

Ce faisant, en vertu du paragraphe 105(4) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, LC 2001, c 6 (LRMM), nous rejetons la demande.

***

LES FAITS ET L’HISTORIQUE PROCÉDURAL

Le 8 mars 2017, la capitainerie du port de Québec avise la GCC qu’un déversement d’hydrocarbure, provenant possiblement du vraquier Maccoa, est survenu dans la section 28. Des hydrocarbures ont été découverts sur l’eau, sur de la glace entre le quai et le navire, ainsi que des traces sur le quai et des éclaboussures sur la coque du navire.

Le navire est arrivé à port le 1er mars 2017 et a commencé son chargement le 6 mars 2017.

Transports Canada (Transports) et la GCC estiment qu’entre 30 et 40 litres de mazout lourd ou d’huile usée de réservoir de boue ont été déversés dans le port.

La GCC se mobilise donc, graduellement, et surveille les mesures de récupération des hydrocarbures prises par la Société d'intervention maritime, Est du Canada (SIMEC) qui a été embauchée par l’Administration portuaire de Québec (APQ).

Pendant ce temps, des échantillons ont été prélevés à l’extérieur du Maccoa ainsi que dans ses réservoirs par Transports. Un expert maritime de la firme Hayes Stuart, engagé par le navire, était aussi sur place pour faire rapport de la situation.

Le commandant du Maccoa nie que les hydrocarbures provenaient de son navire; celui-ci est interdit de départ.

Le 9 mars 2017, le Maccoa demeure détenu pendant les opérations de récupération d’hydrocarbures par la SIMEC, la source en restant toujours indéterminée.

Le 10 mars 2017, le navire est autorisé à appareiller, sa coque ayant été nettoyée.

Peu après son départ, une nappe noire est observée à l’embouchure de la rivière Saint-Charles, dans le port de Québec. Cette nappe s’est ultimement avérée n’être qu’une illusion d’optique causée par une couche de glace submergée, paraissant plus foncée que l’eau l’entourant.

La GCC a mobilisé des ressources jusqu’à ce qu’il soit confirmé que la nappe n’en était pas une d’hydrocarbures.

Le 16 juin 2017, l’APQ dépose une demande sous l’article 103 LRMM auprès de l’administratrice de la Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires (ci-après l’administratrice et la Caisse).

Le 14 septembre 2017 – n’ayant pas devant elle les documents provenant de l’armateur dont elle est actuellement en possession, et n’ayant pas le bénéfice des motifs de la décision susmentionnée du TATC – l’administratrice émet une offre d’indemnité à l’APQ.

Le 27 septembre 2017, le Maccoa reçoit un procès-verbal de violation de la Loi de 2001 sur la marine marchande au Canada (LMMC) et ses règlements, liés à l’événement de mars 2017 dans le port de Québec. Une sanction administrative pécuniaire (SAP) lui est imposée par Transports.

Le 4 octobre 2017, l’APQ notifie l’administratrice de son acceptation. Il est évident que la conclusion aujourd’hui applicable à la GCC se serait appliquée à l’APQ si l’administratrice avait eu devant elle les mêmes documents que lors de l’évaluation de la demande de la GCC.

En octobre 2017, l’administratrice met en demeure l’armateur. En parallèle, celui-ci tente d’obtenir le rapport de cas de Transports ainsi que d’autres documents pour évaluer la preuve contre le navire. Transports refuse de communiquer les documents demandés. Certains de ces documents ont été obtenus par l’administratrice par subpoena émis en vertu de ses pouvoirs sous la Loi sur les enquêtes dans le cadre de son enquête de la demande d’indemnisation de l’APQ. Ces documents étaient cependant protégés et l’administratrice ne pouvait les communiquer à l’armateur à l’appui de sa demande en recouvrement.

En novembre 2017, incapable d’obtenir la communication de ces documents directement par Transports, l’armateur intente une révision de la SAP au TATC. Le temps des procédures devant le TATC, l’administratrice décide donc de sursoir à son recours subrogatoire.

Les 29 et 30 mai 2018, l’audience en révision est tenue à Québec.

Le 27 août 2018, le TATC annule la SAP imposée par le ministre des Transports puisque le ministre n’a pu démontrer que le Maccoa a rejeté un polluant en contravention de la LMMC et al.

Le 28 août 2018, l’administratrice obtient une copie de la décision du TATC. Le même jour, le procureur de l’armateur fait parvenir à l’administratrice une copie de son rapport d’expertise, ainsi qu’une copie du courriel du procureur du ministre concédant qu’il ne recommanderait pas au ministre de porter appel de la décision – le polluant provenait du quai. L’administratrice décide alors de traiter le dossier comme un déversement d’origine inconnue, soit un déversement provenant d’un navire non identifiable, et cesse de poursuivre l’armateur en recouvrement.

Le 12 février 2019, la GCC dépose sa demande sous l’article 103 de la LRRM auprès de l’administratrice visant à récupérer les coûts liés à l’événement impliquant le Maccoa. L’administratrice débute son enquête et l’évaluation de la demande.

Le 19 février 2019, tel que requis par les règles d’équité procédurale, le procureur de l’administratrice communique à la GCC la décision du TATC, le courriel du procureur du ministre susmentionné, le rapport d’expertise de l’armateur, ainsi que des documents de l’APQ qui pourraient avoir une incidence sur, ou préjudicier sa demande pour lui donner l’occasion d’en prendre connaissance, faire des représentations écrites additionnelles et produire de la preuve supplémentaire si la  GCC le jugeait nécessaire. Le procureur de l’administratrice incite notamment la GCC à faire des représentations écrites sur la question de la suffisance de preuve pour conclure non pas à un déversement d’origine inconnue, mais à un déversement provenant du quai. Si le déversement devait provenir du quai, la réclamation serait rejetée.

Le 5 mars 2019, la GCC fournit à l’administratrice ses représentations écrites supplémentaires.

LE REJET DE LA DEMANDE

Le paragraphe 105(4) LRMM prévoit que, lors d’une demande sous l’article 103 LRMM, un demandeur n’a pas à démontrer que les frais, pertes, ou dommages ont été causés par un navire. Par contre, l’administratrice doit rejeter une demande si elle est convaincue, selon la prépondérance de la preuve, que les hydrocarbures engendrant ces frais, ou causant ces pertes ou dommages, ne proviennent pas d’un navire :

Cause de l’événement

(4) Bien que le demandeur ne soit pas tenu de démontrer que l’événement a été causé par un navire, l’administrateur rejette la demande si la preuve le convainc autrement.

En l’espèce, l’administratrice est convaincue qu’aucun frais réclamé dans cette demande n’est dû à un événement causé par un navire.

Cette conclusion sera analysée en deux temps. Premièrement, les frais encourus après le départ du navire l’ont été à cause du reflet des glaces et non pas par des hydrocarbures provenant d’un navire. Deuxièmement, l’ensemble de la preuve permet de conclure que les hydrocarbures ayant causé l’intervention environnementale dans la section 28 du port de Québec provenaient plus probablement du quai que du Maccoa ou de tout autre navire.

LA NAPPE NOIRE

La GCC admet dans sa demande et ses représentations écrites additionnelles que la remobilisation en date du 10 mars 2017 après l’appareillage du Maccoa, a été causée par erreur, i.e. non pas par un déversement d’hydrocarbures, mais bien par l’illusion d’optique créée par de la glace submergée donnant l’impression d’une nappe noire sur l’eau. Par contre, elle soumet que si elle ne s’était pas remobilisée et que la nappe s’était avérée être constituée d’hydrocarbures, l’intervention qui en serait découlée aurait coûté beaucoup plus cher.

Bien que nous soyons d’accord sur ce point, nous ne pouvons indemniser la GCC. Le paragraphe 105(4) LRMM est clair. L’administratrice doit rejeter une demande (ou une partie de demande) lorsque la preuve démontre que l’événement ne provenait pas d’un navire. Ici, la nappe en question ne pouvait provenir d’un navire, n’étant même pas constituée d’hydrocarbures. Conséquemment, nous rejetons tous les frais découlant de la remobilisation du 10 mars 2017.

DÉVERSEMENT PROVENANT DU QUAI

La première intervention de la GCC datée du 8 mars 2017 ne peut avoir été causée que par l’une des trois situations suivantes:

1.      un déversement provenant du Maccoa ;

2.      un déversement provenant d’un navire non-identifié/qui n’est pas le Maccoa ; ou

3.      un déversement provenant d’une source non-maritime, en l’espèce du quai.

Il va sans dire que la première situation, mise de l’avant par la GCC dans sa demande, ne peut être retenue. La GCC le reconnait dans ses représentations écrites supplémentaires. Le TATC a annulé la SAP imposée par le ministre des Transports parce que celui-ci n’a pas réussi à prouver que le Maccoa avait rejeté les hydrocarbures dans la section 28 du port de Québec et le ministre n’a pas porté appel de la décision. Plus encore, le TATC conclut explicitement au paragraphe 24 de sa décision que le Maccoa n’a pas causé le déversement. En l’absence de meilleure ou nouvelle preuve, il serait inapproprié pour l’administratrice de substituer sa conclusion à celle qui constitue le cœur de la décision du TATC.

Il reste donc la deuxième et la troisième situation.

La demande de la GCC a été traitée dès sa réception comme un cas prima facie de déversement d’origine inconnue. Par contre, une fois l’enquête débutée, il a fallu prendre en considération la décision du TATC, le rapport d’expertise produit par l’armateur, ainsi que le dossier de demande de l’APQ.

Bien que la Couronne soit indivise, l’administratrice a communiqué à la GCC les documents ou parties de documents provenant de tiers, qui pourraient avoir une incidence sur sa demande, conformément aux règles d’équité procédurale (voir Canada c Canada (Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires), 2008 CF 1094). Lors de cette communication, l’administratrice a indiqué à la GCC qu’il serait pertinent de faire des représentations écrites sur la possibilité que cette preuve permette à l’administratrice de conclure que le déversement ne provenait pas d’un navire, mais bien du quai, ce qui rendrait la demande de la GCC irrecevable.

En réponse à la communication de ces documents, la GCC a soumis principalement qu’il appartient à l’administratrice « d’établir » que l’événement qui est à l’origine des frais n’est pas imputable à un navire. Plus particulièrement, la GCC soumet (1) qu’aucune autre source de pollution possible n’avait été confirmée sur le terrain ; (2) que l’expert maritime de Hayes Stuart n’a que « supposé » que le déversement provenait du quai ; (3) que le rapport provenant de l’APQ affirmait qu’il n’y avait aucune trace d’hydrocarbures sur le quai et que par conséquence, la demande devrait être recevable – sous réserves de l’évaluation habituelle de la raisonnabilité des mesures prises et des frais qui en découlent.

Il va sans dire que la conclusion du TATC à elle seule n’entraine pas le rejet de la demande de la GCC. Tel que susmentionné, en vertu du paragraphe 105(4) LRMM, l’administratrice ne peut rejeter une demande que si elle est convaincue, selon la prépondérance de la preuve, que l’événement n’a pas été causé par un navire.

Le TATC fait cependant d’autres remarques concernant la source du déversement.

En examinant les photos prises du quai dans le rapport d’expertise, au paragraphe 29 de sa décision, le TATC estime convainquant le fait que les traces noires d’hydrocarbures sous les tuyaux de drainage provenaient d’en haut, c’est-à-dire du quai, et non d’en dessous, puisque des éclaboussures noires figurent sur l’accumulation de glace entre le quai et le navire, ainsi que sur la coque du navire. Ces traces noires ont probablement été causées lors d’un chargement de grain avant le 8 mars 2017. Nous sommes d’accord avec cette conclusion, tirée du rapport d’expertise de l’armateur. À notre avis, il est impossible que ces éclaboussures d’hydrocarbures ayant causé l’intervention environnementale, puissent provenir d’un déversement causé par un navire.

Par ailleurs, au paragraphe 32 de sa décision, le TATC réfute la théorie du ministre voulant qu’un déversement sur le quai avant le 8 mars 2017, notamment durant les opérations de ravitaillement du 6 mars 2017, aurait nécessairement été découvert par les employés du port de Québec. L’APQ indique que le navire a été ravitaillé en bunkers sous forme de diesel léger de couleur rosée plutôt que noire.  

De surcroît, les portions communiquées de la demande de l’APQ indiquent que les navires avoisinant le Maccoa hivernaient. Ce faisant, nous voyons mal comment ils auraient pu causer le déversement découvert le 8 mars 2017.

À défaut de preuve à l’effet que les hydrocarbures récupérés dans les eaux de la section 28 étaient différents des traces et éclaboussures sur le quai, la glace et le navire, nous considérons qu’il s’agit des mêmes hydrocarbures.

Pour toutes ces raisons, nous sommes convaincus selon la prépondérance de la preuve que le déversement qui a mené à l’intervention environnementale du 8 mars 2017 provenait du quai et non d’un navire.

Conséquemment, en vertu du paragraphe 105(4) LRMM, nous rejetons également la demande d’indemnisation pour les frais de la GCC encourus avant la remobilisation du 10 mars 2017.

La demande d’indemnisation est donc rejetée dans son entièreté.

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En vertu du paragraphe 106(2) LRMM, vous avez 60 jours d’ici la réception de cet avis pour porter appel du rejet de cette demande d’indemnisation en déposant un avis d’appel en Cour fédérale désignant l’administratrice comme intimée, selon les règles 335, 337 et 338 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

Je vous prie d’agréer l’expression de mes meilleurs sentiments.

 

 

 

Anne Legars, LL.M., caé

Administratrice, Caisse d’indemnisation des dommages dus à la

  pollution par les hydrocarbures causée par les navires

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