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LETTRE DE REJET

 

Ottawa, le 17 mai 2021

Dossier de la CIDPHN : 120-869-C1

Dossier de la GCC :

PAR COURRIEL

 

Gestionnaire, Services et planification d’intervention

Garde côtière canadienne

200, rue Kent (5N167)

Ottawa (Ontario)  K1A 0E6

 

OBJET : Miss Terri – Havre Discovery, Campbell River (Colombie-Britannique)

    Date de l'incident : 2018-02-23 - (2018-09-18 dans la demande d'indemnisation)

 

SOMMAIRE ET REJET

[1]               Cette lettre est en réponse à une demande d'indemnisation présentée par la Garde côtière canadienne (la « GCC ») concernant le navire de pêche Miss Terri (le « navire »), qui a été impliqué dans un incident survenu dans le havre Discovery, à Campbell River, en Colombie-Britannique (l'« incident »).

[2]               Le 4 septembre 2020, le bureau de l'administrateur de la Caisse d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires (la « Caisse ») a reçu la demande d'indemnisation de la GCC au nom de l'administrateur. En vertu des articles 101 et 103 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6 (la « LRMM »), la GCC a réclamé la somme de 88 576,24 $ pour les frais des mesures d'intervention qu'elle a prises en réponse à l'incident.

[3]               La demande d'indemnisation a été examinée et une décision a été prise concernant les frais réclamés. Il a été déterminé que le délai de prescription prévu à l'alinéa 103(2)a) de la LRMM a expiré avant que la demande d'indemnisation ne soit présentée à l'administrateur. La demande d'indemnisation n'est donc pas admissible en vertu du paragraphe 103(1) de la LRMM.

[4]               Les motifs détaillés du rejet de la demande d'indemnisation sont exposés ci-après, en plus d'une description de la preuve pertinente et de certains antécédents procéduraux.

 

DEMANDE D'INDEMNISATION REÇUE

[5]               La demande d'indemnisation comprend un exposé qui décrit les événements relatifs à l'incident. Elle comprend aussi un sommaire des frais réclamés par la GCC ainsi que des documents justificatifs. Dans la mesure où l'exposé et les documents justificatifs se rapportent à la décision, leur contenu est examiné ci-après.

L'exposé

[6]               Le 23 février 2018, la GCC a signalé un incident de pollution (0178) à 8 h 20 HNP, en réponse à une communication reçue du directeur du havre Discovery, à Campbell River, en Colombie-Britannique. Le directeur du havre a indiqué que la pompe de cale du navire fonctionnait sans arrêt en raison d'une infiltration d'eau. Une équipe de la GCC s'est rendue sur les lieux pour évaluer la situation.

[7]               Avec l'aide de l'équipe de la GCC, le directeur du havre a installé d'autres pompes de cale à bord du navire pour le garder à flot. Après la mise en place de pompes additionnelles par la GCC, les pompes du navire fonctionnaient la moitié du temps.

[8]               Après avoir mis en place les pompes, la GCC a demandé au propriétaire de fournir un plan décrivant ce qu'il allait faire pour s'occuper du navire. Aucun plan n'a été fourni à la GCC. Rien n'indique que le propriétaire ait pris des mesures quelconques en réponse aux difficultés qu'éprouvait son navire.

[9]               Le 11 septembre 2018, une équipe d'intervention environnementale de la GCC s'est rendue au havre Discovery, à Campbell River (Colombie-Britannique), pour s'occuper d'une autre affaire. Pendant qu'elle était sur place, l'équipe d'intervention environnementale a remarqué le navire (le Miss Terri). Elle a constaté que les cales de pompe du navire fonctionnaient pendant 30 minutes par heure.

[10]           L'officier de service en intervention environnementale de la GCC a téléphoné au propriétaire du navire pour l'aviser qu'une grande quantité d'eau s'infiltrait à bord du navire. À ce moment-là, le propriétaire était en mer à bord d'un autre navire. Le propriétaire a été avisé que la GCC allait probablement faire remorquer le navire à un endroit où il pouvait être surveillé et sorti de l'eau rapidement, si cela devenait nécessaire.

[11]           Le 18 septembre 2018, le directeur du havre Discovery a communiqué encore une fois avec la GCC pour l'aviser que les pompes de cale du navire fonctionnaient sans arrêt et qu'il ne pouvait plus continuer de s'en occuper. La GCC a déterminé que le navire constituait une menace imminente de pollution. Elle a engagé un entrepreneur local, Saltair Marine Services Ltd. (« Saltair »), pour remorquer le navire.

[12]           Le 19 septembre 2018, Saltair a remorqué le navire jusqu'à Ladysmith, où il a dû être surveillé 24  heures par jour. La GCC a parlé au propriétaire, qui était encore en mer. Ce dernier a indiqué qu'il allait revenir la première semaine d'octobre pour s'occuper du navire.

[13]           D'après l'exposé, la GCC s'est efforcée de convaincre le propriétaire d'assumer la responsabilité de son navire, mais ce dernier ne l'a pas fait et n'a fourni aucun plan.

[14]           Le 6 novembre 2018, la GCC a conclu que le propriétaire refusait d'assumer la responsabilité de son navire. Elle a donc donné pour instructions à son entrepreneur, Saltair Marine, de sortir le navire de l'eau. Une fois le navire sorti de l'eau, on a découvert d'importants dommages sous la ligne de flottaison, causés par des organismes marins et la pourriture.

[15]           Le 29 novembre 2018, Saltair a commencé à préparer le navire pour le déconstruire. Les travaux de déconstruction ont pris fin le 14 décembre 2018.

[16]           D'après l'exposé, le propriétaire s'est tout le temps montré difficile et a menacé d'intenter une action en justice contre le personnel de la GCC.

 

CONSTATATIONS PRÉLIMINAIRES ET ÉTAT DU NAVIRE

[17]           Toutes les demandes d'indemnisation faites à l'administrateur doivent être présentées dans des délais de différente durée prescrits par la loi, dont les détails sont examinés plus loin dans la section Constatations et conclusions.

[18]           Pour déterminer quel délai de prescription s'applique, il est important de déterminer d'abord s'il y a eu un rejet d'hydrocarbures par le navire.

[19]           Nulle part dans la preuve ou l'exposé ne mentionne-t-on explicitement que l'on ait constaté un rejet d'hydrocarbures dans l'eau provenant du navire. Cependant, le fait qu'un rejet n'ait pas été constaté ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu de rejet.

[20]           Dans ce cas-ci, il y a une preuve indirecte qu'un rejet, ou plus vraisemblablement de multiples rejets, se sont produits avant le 4 septembre 2018. En bref, il est plus probable qu'improbable que de l'eau de pluie ait pénétré dans le navire avec une certaine régularité, qu'elle ait été contaminée par les hydrocarbures, et qu'elle ait ensuite été pompée par-dessus bord. La preuve de tels rejets d'hydrocarbures est exposée en détail dans les deux sections suivantes, en plus des constatations de fait pertinentes.

L'agencement du navire et son état physique constituent une preuve importante

[21]           La demande d'indemnisation de la GCC comprend un rapport d'inspection produit par Building Sea Marine (« BSM »).

[22]           Un expert maritime de BSM a inspecté le navire le 18 septembre 2018, alors que celui-ci était dans l'eau à la marina Discovery. Un rapport a été produit à la suite de l'inspection du navire par l'expert maritime. Ce rapport, daté du 5 octobre 2018, est joint à la demande d'indemnisation de la GCC.

[23]           Le rapport contient plusieurs observations qui offrent une preuve utile à propos de l'état du navire et de l'agencement général de ses espaces internes.

[24]           Sur le pont du navire, il y avait une timonerie à l'avant et un espace d'habitation à l'arrière de la timonerie. L'espace d'habitation s'étendait à peu près jusqu'au milieu du navire, et il y avait un grand pont de travail ouvert à l'arrière, au milieu duquel se trouvaient des écoutilles donnant accès aux cales à poisson.

[25]           Sous le pont, de l'avant à l'arrière, il y avait un gaillard d'avant, un espace machines (avec des machines et des réservoirs de carburant à bâbord et à tribord), des cales à poisson, et enfin un espace où se trouvaient une cambuse et l'appareil à gouverner. Le gaillard d'avant était accessible par l'espace machines, qui lui-même était accessible par le haut en passant par une échelle de descente.

[26]           Le gaillard d'avant, qui reliait les espaces se trouvant au-dessus et au-dessous du pont, semblait être sous la timonerie, alors que l'espace d'habitation était situé au-dessus de l'espace machines, d'après l'emplacement de l'échelle qui reliait les deux espaces.

[27]           L'état du pont est important. D'après l'expert maritime engagé par la GCC, tout le pont était en mauvais état. La majeure partie du composé de calfatage manquait, et de nombreuses planches étaient molles ou presque complètement pourries. Le rapport d'inspection indique que l'eau de pluie aurait pu pénétrer par les endroits du pont qui étaient exposés aux éléments :

Figure 1 - Extrait de la page 6 du rapport d'inspection de BSM

 

 

[28]           Le rapport d'inspection était accompagné d'un certain nombre de photos des planches du pont du navire :

Figure 2 - Photos des planches du pont détérioriées figurant à la page 8 de la section des photos du rapport d'inspection de BSM

Figure 3 - Photos des planches du pont détérioriées figurant à la page 9 de la section des photos du rapport d'inspection de BSM

Figure 4 - Photos des planches du pont détérioriées figurant à la page 10 de la section des photos du rapport d'inspection de BSM

 

[29]           D'après les photos reproduites aux figures 2 à 4, il est déterminé que les observations et les conclusions de l'expert maritime concernant le pont du navire étaient vraisemblablement correctes.

[30]           Selon la prépondérance des probabilités, lorsque la pluie est tombée sur le navire, l'eau de pluie aurait traversé le pont et aurait pénétré dans les espaces au-dessous du pont partout dans le navire, y compris les espaces à l'avant du navire, dont il est question dans la prochaine section de la lettre.

[31]           Il y a une autre conclusion pertinente concernant l'agencement du navire. Toutes les pompes du navire qui étaient en état de marche se trouvaient dans l'espace où étaient la cambuse et l'appareil à gouverner (c.-à-d. à l'arrière du navire). Bien qu'il semble que certains appareils dans l'espace machines du navire aient pu, à un moment donné, servir à pomper l'eau du navire, ces appareils ne fonctionnaient pas aux moments pertinents.

[32]           Enfin, rien n'indique que l'état du navire ou son agencement aient changé de façon significative entre le 23 février 2018 (lorsque les pompes ont été installées) et le 18 septembre 2018, lorsque le navire a été inspecté par l'expert maritime.

Les espaces internes avant du navire étaient contaminés par les hydrocarbures

[33]           Une grande partie des frais réclamés découle de la déconstruction du navire.

[34]           Les frais de déconstruction d'un navire peuvent être admissibles si le navire lui-même constitue une menace de pollution par les hydrocarbures. Par exemple, les frais de déconstruction peuvent être indemnisables lorsqu'un navire en bois est tellement saturé d'hydrocarbures que, s'il était envahi par l'eau, ses bordages causeraient un rejet d'hydrocarbures dans l'eau. Dans bien des cas, une telle saturation résulte de l'accumulation de boues et de débris huileux dans les espaces de cale d'un navire.

[35]           Dans ce cas-ci, la preuve montre que le navire lui-même constituait une menace de pollution par les hydrocarbures.

[36]           Le rapport d'inspection de BSM indique que l'espace machines et la cale du gaillard d'avant étaient [traduction] « modérément souillés d'hydrocarbures ». Les photos 41, 42, 46 et 47 du rapport montrent que les cales de l'espace machines, du gaillard d'avant et du presse-étoupe arrière du navire étaient huileuses :

Figure 5 - Photos figurant à la page 22 de la section des photos du rapport d'inspection de BSM

Figure 6 - Photos figurant à la page 25 de la section des photos du rapport d'inspection de BSM

 

[37]           Saltair, l'entrepreneur qui a déconstruit le navire, a aussi pris des photos durant ses travaux. Ces photos montrent l'état du navire, y compris la présence de contaminants huileux, de débris huileux et de bois saturé d'hydrocarbures :

Figure 7 - Photos et légendes fournies par Saltair

Figure 8 - Photos et légendes fournies par Saltair, montrant le bois saturé d'hydrocarbures

Figure 9 - Photos et légendes fournies par Saltair, montrant le bois saturé d'hydrocarbures

Figure 10 - Photos et légendes fournies par Saltair, montrant le bois saturé d'hydrocarbures

 

[38]           D'après ce qui précède, il est admis que l'espace machines et le gaillard d'avant étaient contaminés par les hydrocarbures, de sorte que l'eau qui pénétrait dans ces espaces aurait aussi été contaminée par les hydrocarbures.

[39]           Rien n'indique que l'état huileux du navire ait changé de façon significative entre le 23 février 2018 et le moment où le navire a été inspecté par l'expert maritime.

 

CONSTATATIONS ET CONCLUSIONS

La demande d'indemnisation de la GCC pourrait être admissible en vertu du paragraphe 103(1)

[40]           Selon le mécanisme prévu au paragraphe 103(1) de la LRMM, un demandeur peut présenter une demande d'indemnisation directement à l'administrateur. Cette demande d'indemnisation doit d'abord être examinée par rapport à plusieurs critères prévus par la loi, avant que le fond de la demande ne puisse faire l'objet d'une enquête et d'une évaluation.

[41]           Dans ce cas-ci, l'incident a causé ou a menacé de causer des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures dans la mer territoriale ou les eaux intérieures du Canada, et il a occasionné des frais pour la prise de mesures visant à prévenir d'autres dommages. La demande d'indemnisation relative à l'incident pourrait donc être admissible.

[42]           La GCC est un demandeur admissible pour l'application de l'art. 103 de la LRMM.

[43]           Certains frais réclamés semblent avoir été engagés pour la prise de mesures raisonnables visant à « prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum » les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par un navire, comme le prévoit la partie 6, section 2 de la LRMM, et ils pourraient donc être indemnisables.

[44]           La demande d'indemnisation est donc admissible, sous réserve du respect de tout délai de prescription applicable. Dans ce cas-ci, pour déterminer si la demande d'indemnisation a été présentée dans le délai applicable prescrit au paragraphe 103(2) de la LRMM, il faut établir d'importantes constatations de fait et de droit.

Les demandes d'indemnisation présentées en vertu du paragraphe 103(1) sont assujetties à un délai de prescription

[45]           Le paragraphe 103(1) de la LRMM, tel qu'il existait au moment de l'incident, prévoit ce qui suit :[1]

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Description automatically generated

[46]           Les demandes d'indemnisation présentées en vertu du paragraphe 103(1) de la LRMM sont assujetties aux délais de prescription énoncés au paragraphe 103(2) :

Graphical user interface, text

Description automatically generated with medium confidence

[47]           Le libellé des dispositions relatives aux délais de prescription doit être analysé pour déterminer si, d'après les faits, il y a eu des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures plus de deux ans avant que la demande d'indemnisation ne soit présentée à l'administrateur.

[48]           Étant donné qu'il ne peut y avoir de dommages dus à la pollution par les hydrocarbures à moins qu'il y ait eu un rejet d'hydrocarbures, il faut d'abord déterminer si le rejet a résulté de l'incident.

La demande d'indemnisation a été présentée plus de deux ans après qu'un rejet d'hydrocarbures se soit probablement produit

[49]           Lorsque la GCC est arrivée au havre Discovery le 23 février 2018, les pompes du navire fonctionnaient sans arrêt. La GCC a placé d'autres pompes à bord du navire. Aucune preuve directe ne montre ce qui est arrivé au navire entre ce moment-là et septembre 2018. Cependant, comme il a été déterminé plus tôt, il est plus probable qu'improbable que lorsque la pluie est tombée sur le navire, l'eau de pluie a traversé le pont, elle a été contaminée par les hydrocarbures, et elle a ensuite été rejetée hors du navire par les pompes situées à l'arrière de celui-ci.

[50]           De plus, il est admis que, du 23 février au 3 septembre 2018, des pluies abondantes sont vraisemblablement tombées à plusieurs reprises à l'endroit où se trouvait le navire.

[51]           Par conséquent, il est déterminé qu'il est plus probable qu'improbable qu'il y ait eu plusieurs rejets d'hydrocarbures avant septembre 2018.

[52]           L'administrateur a reçu la demande d'indemnisation de la GCC le 4 septembre 2020. Il a été conclu qu'il y a eu des rejets d'hydrocarbures avant le 4 septembre 2018.

[53]           Étant donné que la demande d'indemnisation n'a pas été présentée dans les deux ans suivant ces rejets d'hydrocarbures, le plus court des délais prescrits au paragraphe 103(2) pourrait s'appliquer. Il faut examiner si la demande d'indemnisation est admissible selon le paragraphe 103(1).

La version anglaise du délai de prescription est ambiguë et nécessite une interprétation

[54]           La version anglaise du délai de prescription énoncé au paragraphe 103(2) est difficile à appliquer.

[55]           L'emploi du mot « the » devant « oil pollution damage » à l'alinéa 103(2)a) (« within two years after the day on which the oil pollution damage occurs ») prête à confusion. « The » est un article défini, généralement employé pour désigner un concept qui a déjà été introduit. Toutefois, tel qu'il est employé à l'alinéa 103(2)a), il n'est pas clair à première vue ce que l'article « the » désigne. Il se peut qu'il désigne les dommages spécifiques faisant l'objet d'une demande d'indemnisation. Par ailleurs, il se peut qu'il désigne un événement singulier où un rejet a causé des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures.

[56]           Si la première interprétation est la bonne, différents délais de prescription pourraient s'appliquer à différentes demandes d'indemnisation découlant du même événement. Inversement, selon la deuxième interprétation, le même délai de prescription s'appliquerait à toutes les demandes d'indemnisation découlant des mêmes circonstances. Ces deux interprétations présentent des complications, et il faut donc interpréter la loi pour résoudre l'ambiguïté et déterminer le seuil approprié de ce qui constitue des « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ».

Les principes d'interprétation des lois

[57]           L'interprétation des lois a pour but de déterminer le sens des mots dans une loi. Pour ce faire, il faut comprendre l'intention du législateur. Pour ce qui est de la façon d'arriver à cette compréhension, la Cour suprême du Canada souscrit à l'approche proposée par Elmer Driedger, à savoir :

Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'économie de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.[2]

[58]           Il ne suffit pas de comprendre le sens ordinaire des mots employés. Il faut tenir compte du but et de l'intention du législateur lorsqu'il a adopté la LRMM, et il faut reconnaître le contexte dans lequel les mots en question sont employés.

L'application des principes d'interprétation des lois au délai de prescription énoncé à l'alinéa 103(2)a)

[59]           Bien que le sens de l'expression « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures » employée à l'alinéa 103(2)a) ne soit pas clair, d'autres parties de la LRMM offrent un contexte qui aide à en donner une interprétation appropriée. Sur ce point, le paragraphe 91(1) est utile. Il comprend trois définitions pertinentes :

rejet  S'agissant d'un hydrocarbure, rejet de celui-ci qui, directement ou indirectement, atteint l'eau, notamment par déversement, fuite, déchargement ou chargement par pompage, rejet liquide, émanation, vidange, rejet solide et immersion.

 […]

hydrocarburesLes hydrocarbures de toutes sortes sous toutes leurs formes, notamment le pétrole, le fioul, les boues, les résidus d'hydrocarbures et les hydrocarbures mélangés à des déchets, à l'exclusion des déblais de dragage.

dommages dus à la pollution par les hydrocarbures S'agissant d'un navire, pertes ou dommages extérieurs au navire et causés par une contamination résultant du rejet d'hydrocarbures par ce navire.

[60]           À l'article 75 de la LRMM, on trouve exactement la même définition de « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures », mais une définition un peu différente de « rejet ». Le contexte de ces autres définitions importe. Les définitions à l'article 75 s'appliquent à l'article 77, qui est le principal moyen par lequel la LRMM impose la responsabilité aux propriétaires de navires pour les incidents de pollution par les hydrocarbures causée par les navires dans les eaux canadiennes.[3] Le paragraphe 103(1) fait référence à l'article 77 et stipule qu'une demande d'indemnisation peut aussi être présentée à l'administrateur en vertu de l'article 77.

[61]           La différence entre la définition de « rejet » à l'article 75 et celle au paragraphe 91(1) est que le mot « hydrocarbures » est employé à la place de « polluant », qui est aussi défini à l'article 75 [soulignement ajouté] :

rejet  S'agissant d'un polluant, rejet de celui-ci qui, directement ou indirectement, atteint l'eau, notamment par déversement, fuite, déchargement ou chargement par pompage, rejet liquide, émanation, vidange, rejet solide et immersion.

polluantLes hydrocarbures, les substances qualifiées par règlement, nommément ou par catégorie, de polluantes pour l'application de la présente partie et, notamment :

a) les substances qui, ajoutées à l'eau, produiraient, directement ou non, une dégradation ou altération de sa qualité de nature à nuire à son utilisation par les êtres humains ou par les animaux ou les plantes utiles aux êtres humains;

b) l'eau qui contient une substance en quantité ou concentration telle – ou qui a été chauffée ou traitée ou transformée depuis son état naturel de façon telle – que son addition à l'eau produirait, directement ou non, une dégradation ou altération de la qualité de cette eau de nature à nuire à son utilisation par les êtres humains ou par les animaux ou les plantes utiles aux êtres humains.

[62]           Ce qui précède donne un aperçu utile de ce qui constitue des « pertes ou dommages » selon la définition de « dommages dus à la pollution » et celle de « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures », bien que de manière oblique.

[63]           La définition de « polluant » à l'article 75 établit un seuil qui doit être atteint avant qu'une substance ne puisse être considérée comme un polluant. Plus précisément, une substance qui produirait, directement ou indirectement, une dégradation de la qualité de l'eau de nature à nuire à son utilisation par les êtres humains ou par les animaux ou les plantes utiles aux êtres humains, est un « polluant » qui pourrait être rejeté par un navire et causer des pertes ou des dommages pouvant être considérés comme des « dommages dus à la pollution ».

[64]           Bien qu'il ne soit pas clair si le seuil mentionné ci-haut est censé s'appliquer aux hydrocarbures, qui sont tous des polluants, il sert néanmoins à éclaircir le sens de « pertes ou dommages extérieurs au navire » dans la définition de « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures » au paragraphe 91(1). Si une substance considérée comme un « polluant » est rejetée par un navire, il s'ensuit logiquement que cela causerait un certain degré de « pertes ou dommages » à la qualité de l'environnement marin immédiat, ce qui fait que le seuil applicable est relativement faible.

[65]           De plus, d'après la définition de « polluant », il n'est pas nécessaire que les « pertes ou dommages » touchent les biens ou le revenu d'une personne pour qu'il y ait des « dommages dus à la pollution ». L'accent est plutôt mis sur la dégradation de l'environnement qui pourrait avoir un effet sur les êtres humains, les animaux ou les plantes utiles.

[66]           Étant donné que les définitions de « dommages dus à la pollution » et de « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures », figurant respectivement à l'article 75 et au paragraphe 91(1) sont si semblables, il est considéré que l'intention devait être que l'expression « pertes ou dommages » ait le même sens dans les deux définitions. Par conséquent, le seuil des « dommages dus à la pollution » est utile pour déterminer le degré d'impact environnemental requis pour qu'un rejet d'hydrocarbures soit considéré comme des « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ».

[67]           Un autre outil d'interprétation se trouve à l'article 77, qui prévoit aussi un délai de prescription au paragraphe 77(6) :

(6) Les actions fondées sur la responsabilité prévue au paragraphe (1) se prescrivent :

a) s'il y a eu dommages dus à la pollution, par trois ans à compter du jour de leur survenance ou par six ans à compter du jour de l'événement qui les a causés ou, si cet événement s'est produit en plusieurs étapes, du jour de la première de ces étapes, selon que l'un ou l'autre délai expire le premier;

b) sinon, par six ans à compter du jour de l'événement.

[68]           Le paragraphe 77(6) parle de « dommages dus à la pollution » et non de « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ». Les définitions de ces expressions à l'article 75 sont distinctes mais semblables, et elles sont respectivement très semblables et identiques à la définition de « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures » au paragraphe 91(1). Puisque l'article 77 impose la responsabilité seulement à l'égard des hydrocarbures, et parce que la définition de « polluant » comprend les hydrocarbures, il est considéré que l'emploi de « dommages dus à la pollution » au paragraphe 77(6) doit inclure « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ».

[69]           La version anglaise du délai de prescription énoncé au sous-alinéa 77(6)a)(i) contient le même mot « the » qui pose un problème au paragraphe 103(2), mais son emploi au sous-alinéa 77(6)a)(i) ne cause aucune difficulté d'interprétation. C'est parce que l'alinéa 77(6)a), qui précède immédiatement le sous-alinéa 77(6)a)(i), emploie l'expression « if pollution damage occurs ». Par conséquent, l'emploi de l'article défini dans la version anglaise est approprié, car il est clair qu'il renvoie à l'expression déjà introduite « pollution damage », lesquels dommages dus à la pollution peuvent s'être produits ou non.

[70]           Cela serait conforme au fait que les « dommages dus à la pollution » aux fins de l'article 77 sont un événement singulier qui se produit dans le contexte de l'ensemble d'un incident, et non pas un événement particulier à chaque demandeur. Tous les demandeurs sont donc assujettis au même délai de prescription. Une fois que de quelconques dommages dus à la pollution se sont produits, le délai prévu à l'alinéa 77(6)a)(i) commence à courir.[4] Tous les demandeurs doivent alors faire une demande d'indemnisation au propriétaire de navire dans un délai de trois ans suivant cet événement, ou peut-être plus tôt.[5] Selon cette interprétation, une fois qu'un événement de « dommages dus à la pollution » s'est produit, les autres cas de « dommages dus à la pollution » ayant un lien de causalité avec cet événement ne sont pas pertinents pour l'application du délai de prescription prévu au paragraphe 77(6).

[71]           On peut voir des parallèles entre les paragraphes 77(6) et 103(2), et l'une des principales différences entre ces deux dispositions s'explique facilement.

[72]           Les délais de prescription de base énoncés au paragraphe 77(6) sont de trois ans et six ans, selon que des dommages dus à la pollution se sont produits ou non.[6] Les délais de prescription de base prévus au paragraphe 103(2) sont de deux ans et cinq ans, soit une année de moins que ceux énoncés au paragraphe 77(6). La différente durée de ces délais a un résultat important.

[73]           En vertu de la partie 7 de la LRMM, l'administrateur est subrogé dans les droits du demandeur et a pour mandat de prendre des mesures de recouvrement contre les personnes responsables.[7] Dans ce contexte, les délais de deux ans et cinq ans prévus au paragraphe 103(2) exigent, dans la plupart des cas, que les demandes d'indemnisations soient présentées à l'administrateur suffisamment tôt pour qu'il dispose d'au moins un an pour traiter et payer les demandes d'indemnisation et pour prendre ensuite des mesures de recouvrement par subrogation contre le propriétaire de navire en vertu de l'article 77. Cela permet d'appliquer le principe du « pollueur-payeur », tout en veillant à ce que les personnes touchées par la pollution par les hydrocarbures causée par les navires soient indemnisées indépendamment des moyens financiers du propriétaire de navire.

[74]           La possibilité d'une application harmonieuse de différentes parties de la LRMM implique que les délais de prescription énoncés aux paragraphes 77(6) et 103(2) devraient être interprétés comme s'appliquant essentiellement de la même façon, sauf pour leur différente durée. Cela appuie l'interprétation voulant que les « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures » au paragraphe 103(2) fonctionnent de la même façon qu'au paragraphe 77(6).[8] C'est-à-dire que « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures » est un événement singulier et, une fois que ces dommages se sont produits, le délai de deux ans prévu au paragraphe 103(2) commence à courir.

[75]           Il est à noter qu'il y a une importante distinction entre les paragraphes 77(6) et 103(2) dans la version anglaise. L'alinéa 77(6)a) dit en préambule « if pollution damage occurs », ce qui sert de fondement à l'application du sous-alinéa 77(6)a)(i) telle qu'elle est expliquée ci-haut. Ce préambule n'existe pas au paragraphe 103(2). Le différent libellé de ces deux paragraphes, qui ont autrement le même objet, laisse supposer dans bien des cas que l'intention du législateur était qu'ils aient un objet différent.

[76]           Cependant, en ce qui concerne ces deux dispositions de la LRMM, il n'est pas accepté que l'intention du législateur était qu'elles aient un objet différent. Parce que « oil pollution damage » n'est pas employé en préambule, le paragraphe 103(2) est ambigü et prête à confusion, plutôt que d'énoncer clairement un objet différent. De plus, dans la version française de la loi, l'expression équivalente est employée dans les deux dispositions. En français, l'alinéa 103(2)a) dit [soulignement ajouté] « s’il y a eu des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, dans les deux ans suivant la date où ces dommages ». Cela indique que l'omission de « if pollution damage occurs » à l'alinéa 103(2)a) dans la version anglaise est une anomalie de rédaction ou de traduction. Il est donc considéré peu probable que l'intention du législateur était que l'application du paragraphe 103(2) soit différente de celle du paragraphe 77(6).

[77]           Par conséquent, il est conclu que l'alinéa 103(2)a) impose un délai de prescription de deux ans après que des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures se soient produits à la suite d'un premier incident.[9] Le même délai de prescription s'applique donc à toutes les demandes d'indemnisation découlant des mêmes faits et à tous les demandeurs.

L'application du droit aux faits

[78]           Il a déjà été conclu que le navire a probablement causé un rejet d'hydrocarbures avant le 4 septembre 2018. La demande d'indemnisation de la GCC n'a pas été reçue par l'administrateur dans un délai de deux ans suivant cette date.

[79]           Il ne reste qu'à déterminer si les rejets qui se sont produits ont causé des « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures », selon la définition de cette expression au paragraphe 91(1) de la LRMM. Comme suite à la discussion antérieure concernant l'absence d'un seuil applicable aux « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures » au paragraphe 91(1), et puisqu'au moins certaines parties du navire étaient considérablement souillées par les hydrocarbures, il est conclu que les rejets qui se sont produits avant le 4 septembre 2018 ont probablement causé des « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ».

[80]           Par conséquent, le délai de prescription énoncé à l'alinéa 103(2)a) a expiré avant le 4 septembre 2020. La demande d'indemnisation que la GCC a présentée à l'administrateur n'est donc pas admissible en vertu du paragraphe 103(1).

Commentaires reçus de la GCC

[81]           Le 23 février 2021, l'administrateur a envoyé une lettre de décision provisoire à la GCC afin d'obtenir ses commentaires. Cela a été fait pour permettre à la GCC de faire des commentaires sur ce qui semblait être une nouvelle question mixte de fait et de droit, à savoir une situation où des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures se sont produits plus de deux ans avant la présentation d'une demande d'indemnisation, mais où la date et le moment exacts du rejet ne sont pas connus, et comment le délai de prescription devrait être appliqué d'après les faits.

[82]           La GCC a fourni sa réponse le 30 mars 2021. L'administrateur lui est reconnaissant d'avoir fait part de ses commentaires.

[83]           La réponse de la GCC se lisait comme suit :

[traduction]

Cette réponse fait suite à votre lettre provisoire du 23 février 2021, dans laquelle vous avez rejeté les frais que la Garde côtière canadienne (la Garde côtière) a engagés à la suite de son intervention en réponse à l'incident cité en objet, ainsi que notre demande d'indemnisation au montant de 88 576,24 $.

Au départ, nous voulons noter que, si nous comprenons bien, le délai d'appel commencerait à courir à compter de la date de la lettre de rejet définitive, et non pas à compter de votre lettre provisoire du 23 février 2021.

Premièrement, vous concluez dans votre lettre qu'après un examen de la preuve, le Miss Terri « a probablement déversé des hydrocarbures ». Deuxièmement, l'administrateur croit que l'incident a eu lieu à une date indéterminée avant le 23 février 2018 et que, par conséquent, la demande d'indemnisation devrait être rejetée parce qu'elle a été présentée après le délai de prescription de deux ans. Nous allons tenter de répondre à ces deux questions.

Le 23 février 2018, la Garde côtière a reçu un rapport de pollution potentielle du havre Discovery, concernant le mauvais état du Miss Terry. La Garde côtière (une équipe de la station de bateau de sauvetage de Campbell River) s'est rendue sur les lieux pour évaluer la situation et a travaillé avec le directeur du havre pour s'assurer que les pompes du navire continuent de fonctionner afin que celui-ci reste à flot. Ce genre d'évaluation fait partie des activités courantes de la Garde côtière et est parfois effectué par des agents d'un différent programme de la Garde côtière, en l'occurrence le programme de recherche et sauvetage. La Garde côtière (l'équipe de la station de bateau de sauvetage de Campbell River) s'est efforcée de convaincre le propriétaire d'assumer la responsabilité de son navire, mais ce dernier n'a pas fourni un plan d'intervention. Le directeur du havre a continué de surveiller le navire jusqu'à ce que le propriétaire puisse résoudre le problème. Aucun dommage dû à la pollution n'a été constaté à ce moment-là.

Il n'est pas rare que des navires se déplacent dans les eaux canadiennes et qu'ils transportent des hydrocarbures en tant que cargaison, déchets, carburant de propulsion, ou toute combinaison de ceux-ci. Si de bonnes pratiques de gestion des navires et de navigation maritime sont en place, la Garde côtière ne considère pas que de tels navires posent une menace de pollution et qu'ils nécessitent une forme quelconque d'intervention ou de surveillance par la Garde côtière. Ces pratiques de gestion des navires portent sur l'intégrité de la coque et comprennent aussi un volet de gestion – l'entretien, l'attention/l'intervention humaine – qui peut éliminer, retarder ou ralentir la menace de pollution en deçà d'un seuil d'intervention. Si l'une ou l'autre de ces pratiques et/ou circonstances change, la Garde côtière réévalue la situation. Lorsque la Garde côtière a évalué la situation du Miss Terri la première fois, elle était satisfaite que de bonnes pratiques de gestion du navire étaient en place (le directeur du havre continuait de surveiller la navire) et que le navire n'avait pas atteint le niveau de menace « pourrait rejeter » prévu à l'article 180 de la Loi sur la marine marchande du Canada (LMMC). Par conséquent, le navire ne nécessitait aucune mesure de surveillance ou d'intervention par la Garde côtière.

Le personnel de la Garde côtière a fait une évaluation du navire le 23 février 2018, mais le personnel d'intervention environnementale n'a pris aucune mesure de surveillance ou d'intervention à ce moment-là, car la Garde côtière était d'avis que le navire n'avait pas atteint le niveau de menace « pourrait rejeter » prévu à l'article 180 de la LMMC. Si la CIDPHN estime que ces activités constituaient une intervention (ce que nous réfutons), et compte tenu du fait qu'aucun dommage dû à la pollution n'a été constaté à ce moment-là, alors le délai de prescription dans ce cas-ci devrait être de cinq ans après l'événement, en l'occurrence le 23 février 2018, soit la date à laquelle la Garde côtière a fait son évaluation.

En septembre 2018, les circonstances ont changé et la Garde côtière a reçu un nouveau rapport de pollution potentielle. La Garde côtière a indiqué dans sa demande d'indemnisation que l'incident s'était produit à la date où elle a reçu ce deuxième avis parce que, jusqu'à ce moment-là, le navire avait été surveillé par le directeur du havre et que la Garde côtière ne considérait pas que le navire « pourrait rejeter ». Le 18 septembre 2018, le directeur du havre a indiqué qu'il ne pouvait plus continuer de surveiller le navire de façon constante. Le propriétaire du navire était en mer et incapable d'assumer la responsabilité de son navire. Le niveau de menace de naufrage du navire a alors augmenté et franchi le seuil de « pourrait rejeter ». Si les pompes avaient cessé de fonctionner, sans que personne ne soit sur place pour remédier à la situation, le navire aurait sans doute coulé. C'est alors que la Garde côtière est intervenue. Aucune pollution n'a été constatée à ce moment-là, donc toutes les mesures ont été prises pour atténuer la menace de pollution.

Si on examine le délai de prescription énoncé à l'alinéa 103(2)a), en ce qui concerne le Miss Terri, la menace d'une pollution potentielle est apparue le 18 septembre 2018. De ce fait, la Garde côtière n'a réclamé aucuns frais pour février 2018. Les faits relatés dans l'exposé de l'incident remontant à février 2018 n'ont aucun rapport avec les mesures prises par la GCC en septembre 2018, si ce n'est que d'expliquer un changement qui a amené la Garde côtière à déclencher une intervention immédiate. La Garde côtière n'a constaté aucune pollution durant ses activités d'intervention en réponse au Miss Terri. La Garde côtière est d'avis que le délai de prescription dans ce cas-ci devrait être de cinq ans après l'événement, en l'occurrence le 18 septembre 2018, soit la date à laquelle la Garde côtière a conclu que le navire posait une menace de pollution qui exigeait une intervention.

La Garde côtière note également que l'administrateur fonde ses conclusions concernant le délai de prescription sur sa thèse de ce qui a pu arriver (p. ex. « peut néanmoins s'être produit »). La Garde côtière soutient que toute conclusion de fait doit reposer manifestement sur la preuve fournie.

La Garde côtière est préoccupée par les implications de la position de la CIDPHN voulant que le délai de prescription commence à courir à la date d'un déversement potentiel, indépendamment du fait qu'il existe ou non une preuve d'un déversement, ou que le demandeur ait jamais eu connaissance d'un tel déversement ou qu'il soit intervenu ou non à ce moment-là. Il semble qu'une telle position obligerait tous les demandeurs à connaître l'historique complet du navire, et qu'elle pourrait entraîner le rejet d'une demande d'indemnisation s'il se peut que le navire ait causé un déversement avant toute intervention de la part du demandeur. Cela irait à l'encontre de l'objet de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, c'est-à-dire indemniser les demandeurs, car certains d'entre eux pourraient ne pas être indemnisés de leurs frais si un déversement s'est produit avant leur intervention. Il pourrait aussi très coûteux aux demandeurs d'avoir à faire ce genre de recherche, en particulier ceux qui réclament des petits montants.

La Garde côtière note également que la CIDPHN est incapable de déterminer une date spécifique quelconque à laquelle le prétendu « rejet probable » se serait produit et à compter de laquelle le délai de prescription aurait commencé à courir. Du point de vue de l'équité procédurale, on ne voit pas comment la Garde côtière ou un autre demandeur pourrait savoir avec certitude si un navire a déversé des hydrocarbures à un moment donné dans le passé et à quel moment cela s'est produit, et donc savoir quel est le délai de prescription.

En somme, étant donné qu'aucun dommage dû à la pollution n'a été constaté durant toute l'intervention, la Garde côtière soutient que la demande d'indemnisation concernant le Miss Terri n'est pas prescrite, car le délai de prescription approprié est de cinq ans à compter de la date de l'incident, soit le 18 septembre 2018. Autrement, si la CIDPHN estime que les mesures prises par la Garde côtière le 23 février 2018 constituent une intervention visant à atténuer une menace de pollution par les hydrocarbures, alors le délai de prescription approprié est de cinq ans à compter du 23 février 2018. Si la CIDPHN dispose d'une preuve montrant qu'il y a eu des dommages dus à la pollution dans le havre durant l'intervention en réponse au Miss Terri, la Garde côtière lui serait reconnaissante de divulguer cette preuve.

[84]           D'après ce qui précède, les deux principaux points soulevés par la GCC sont les suivants :

         La GCC a traité cet incident en conformité avec des critères d'évaluation des menaces établis en vertu de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, L.C. 2001, ch. 26, modifiée (la « LMMC ») , et il n'y a aucune preuve qu'un rejet d'hydrocarbures ait été constaté; et

         Il est problématique pour un demandeur de ne pas savoir quand le délai de prescription commence à courir.

[85]           Pour ce qui est du premier point, il est compréhensible que la GCC se soit basée sur les critères d'évaluation des menaces énoncés dans la LMMC. Cependant, l'administrateur n'est pas d'accord que ces critères ont une incidence sur le moment auquel le délai de prescription commence à courir selon le paragraphe 103(2) de la LRMM. Les commentaires de la GCC ne changent en rien les constatations de fait qui permettent de conclure que des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures se sont produits avant le 4 septembre 2018.

[86]           En ce qui concerne le deuxième point soulevé par la GCC, l'administrateur est d'accord que, selon son interprétation, un demandeur pourrait ne pas pouvoir se prévaloir de son droit à une indemnisation parce qu'il ne sait pas quand le délai de prescription a commencé à courir. En fait, selon l'interprétation de l'administrateur, une demande d'indemnisation pourrait être prescrite avant même qu'un demandeur ne subisse des dommages. Cependant, l'administrateur n'est pas d'avis que le paragraphe 103(2) de la LRMM puisse être interprété d'une manière qui tienne compte des connaissances et des croyances subjectives d'un demandeur pour déterminer à quel moment le délai de prescription commence à courir. Le délai de prescription pertinent est centré sur les événements touchant le navire en cause et non pas sur le rôle d'un demandeur dans ces événements.

[87]           Par conséquent, les commentaires de la GCC ne changent en rien les constatations de fait ni les constatations mixtes de fait et de droit établies par l'administrateur.

 

[88]           La demande d'indemnisation est rejetée.

 

***

[89]           Dans votre examen de la présente lettre de rejet, veuillez prendre note des choix et des délais suivants énoncés à l'article 106 de la LRMM.

[90]           En vertu du paragraphe 106(2) de la LRMM, le rejet d'une demande d'indemnisation peut être porté en appel devant la Cour d'amirauté, dans les 60 jours suivant la réception de l'avis de rejet de la demande d'indemnisation. La présente lettre constitue l'avis de rejet de la demande d'indemnisation. Si vous souhaitez interjeter appel du rejet, conformément aux règles 335(c), 337 et 338 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, vous pouvez le faire en déposant un avis d'appel établi selon la formule 337. Vous devez le signifier à l'administrateur, qui sera désigné à titre d'intimé dans l'appel. En vertu des règles 317 et 350 des Règles des Cours fédérales, vous pouvez demander une copie certifiée conforme des documents de l'office fédéral.

 

Je vous prie d'agréer mes meilleures salutations.

L'administrateur adjoint de la Caisse d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires,

 

Mark A.M. Gauthier, B.A., LL.B.



[1] Toutes les références à la LRMM dans la présente lettre se rapportent à la version de la loi qui était en vigueur au moment de l'incident.

[2] Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, citant Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2nd ed. (Toronto: Butterworths, 1983), page 87.

[3] La LRMM incorpore au droit canadien la Convention internationale de 1992 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures et la Convention internationale de 2001 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de soute. Ces deux conventions imposent aussi la responsabilité au propriétaire d'un navire pour certains types d'incidents de pollution par les hydrocarbures causée par les navires. Les genres d'incidents couverts par les conventions sont plus limités que ceux visés par le paragraphe 77(1), à savoir les incidents impliquant un navire-citerne qui transporte des hydrocarbures en tant que cargaison ou un navire pouvant être considéré comme un bâtiment de mer ou un engin marin.

[4] L'alinéa 77(6)a)(ii) s'applique lorsqu'un « événement » (ou une série d'« événements ») ne cause pas immédiatement des dommages dus à la pollution. Il impose une limite absolue de six ans après le premier événement. Si des dommages dus à la pollution devaient se produire quatre ans après le premier événement, une demande d'indemnisation doit alors être présentée dans les deux années suivantes, indépendamment du fait que l'alinéa 77(6)a)(i) prévoit un délai de trois ans après l'événement ayant causé des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures. Le délai de prescription absolu prévu à l'alinéa 77(6)a)(ii) a la priorité.

[5] Voir à ibid la discussion sur les dommages dus à la pollution qui surviennent après un premier événement.

[6] Bien que, comme indiqué à la note 4, il puisse y avoir des complications lorsque les dommages dus à la pollution surviennent plus de trois ans après le premier événement.

[7] LRMM, al. 106(3)c).

[8] Bien que les deux expressions soient distinctes, en ce sens que les « dommages dus à la pollution » au paragraphe 77(6) sont visiblement assujettis à un seuil, elles peuvent et devraient être interprétées de la même façon en ce qui concerne leur application en dehors de ce seuil.

[9] Le raisonnement à la note 4 s'applique aussi au délai de deux ans, ce qui veut dire qu'il sera plus court si les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures se produisent plus de trois ans après le premier événement.

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