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LETTRE DE REJET

 

Ottawa, le 26 mai 2021

Dossier de la CIDPHN : 120-687-C1

Dossier de la GCC :

PAR COURRIEL

Gestionnaire, Services et planification d’intervention

Garde côtière canadienne

200, rue Kent (5N167)

Ottawa (Ontario)  K1A 0E6

 

OBJET : Stelie II – Port Saunders (Terre-Neuve-et-Labrador)

    Date de l'incident : 2016-03-23

 

SOMMAIRE ET REJET

[1]               Cette lettre est en réponse à une demande d'indemnisation présentée par la Garde côtière canadienne (la « GCC ») concernant le navire de pêche Stelie II (le « navire »), qui a subi des dommages à la coque et a causé un incident de pollution par les hydrocarbures le 23 mars 2016 à Port Saunders, à Terre-Neuve-et-Labrador (l'« incident »).

[2]               Le 8 octobre 2020, le bureau de l'administrateur de la Caisse d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires (la « Caisse ») a reçu la demande d'indemnisation de la GCC au nom de l'administrateur. En vertu des articles 101 et 103 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6 (la « LRMM »), la GCC a réclamé la somme de 114 897,43 $ pour les frais des mesures d'intervention qu'elle a prises en réponse à l'incident.

[3]               La demande d'indemnisation a été examinée et une décision a été prise concernant les frais réclamés. Il a été déterminé que le délai de prescription prévu à l'alinéa 103(2)a) de la LRMM a expiré avant que la demande d'indemnisation ne soit présentée à l'administrateur. Par conséquent, la demande d'indemnisation n'est pas admissible en vertu du paragraphe 103(1) de la LRMM et elle est donc rejetée.

[4]               Les motifs détaillés du rejet de la demande d'indemnisation sont exposés ci-après, en plus d'une description de la preuve pertinente et de certains antécédents procéduraux.

 

COMMUNICATIONS ENTRE LA GCC ET LA CAISSE AVANT LE 8 OCTOBRE 2020

[5]               Certains détails de l'incident et de l'intervention en réponse à celui-ci ont été décrits à la Caisse par la GCC bien avant que cette dernière ne présente sa demande d'indemnisation. Un certain nombre de communications entre la Caisse et la GCC ont suivi. Étant donné que la demande d'indemnisation est rejetée en raison de l'application du délai de prescription prévu par la loi, ces communications sont décrites ci-dessous.

[6]               La GCC a d'abord informé la Caisse de l'incident par téléphone le 29 mars 2016. Elle a indiqué que le Stelie II, un navire de pêche de 90 pieds qui avait des polluants à son bord, avait rompu ses amarres et subi des dommages à la coque, que le propriétaire du navire s'était montré peu coopératif, et que la GCC était intervenue pour sortir le navire de l'eau. Plus tard ce jour-là, la GCC a fourni les détails suivants par courriel :

[traduction]

Aucun hydrocarbure n'était visible dans l'eau, car l'eau était couverte de glace. Il y avait cependant une forte odeur de diesel. La GCC a vu du carburant diesel, de l'huile lubrifiante et de l'huile hydraulique. Il y avait aussi des boues d'hydrocarbures mélangées à la glace et à la gadoue dans la cale du navire. La quantité totale de polluants était inconnue à ce moment-là.

Le navire gîtait et la rambarde du côté bâbord[1] était si proche de l'eau qu'il n'y avait pas d'autre choix que de sortir le navire de l'eau rapidement. Il a donc été placé sur une propriété privée, mais il ne pouvait pas être laissé à cet endroit pour toujours. Et maintenant, comme il a été mentionné, la GCC va examiner les mesures possibles à prendre à l'égard du navire.

[7]               D'autres détails ont été fournis par courriel directement par l'un des intervenants de la GCC le 7 avril 2016 :

[traduction]

[Le Stelie II] gîtait dangereusement sur tribord. Nous […] sommes montés à bord du navire et nous avons confirmé que la salle des machines était remplie d'eau aux trois quarts et qu'il y avait des résidus d'hydrocarbures à la surface de la glace. Il y avait aussi une forte odeur de diesel, et plusieurs seaux d'huile et pots de peinture étaient dispersés un peu partout à bord du navire. […]

[8]               Il y a eu d'autres communications entre la Caisse et la GCC à propos de l'incident au cours des mois qui ont suivi, et 14 photos en couleur ont été envoyées à la Caisse le 7 mars 2018.

Figures 1 et 2 : Copies d'écran de photos horodatées reçues par la Caisse le 7 mars 2018

 

[9]               Toujours le 7 mars 2018, à la suite d'une conversation téléphonique entre l'avocat de la Caisse et celui de la GCC, l'avocat de la GCC a envoyé à la Caisse un courriel disant ce qui suit : [traduction] « Comme suite à notre discussion, notre responsable des opérations dans la région a confirmé qu'il n'y a eu aucun rejet de polluants par le Stelie II; la mesure a été prise en réponse à une menace de pollution. »

[10]           Le 8 mars 2018, à la demande de la GCC, l'administrateur a envoyé à la GCC un courriel qui se lisait en partie comme suit :

[traduction]

Comme suite à vos discussions avec mon avocat, je suis parvenu à la conclusion suivante dans l'affaire de la demande d'indemnisation que la [GCC] va bientôt présenter relativement à l'événement du Stelie II.

L'alinéa 103(2)b) de la [LRMM] prévoit que, s'il n'y a pas eu de rejet ou de déversement, une demande d'indemnisation doit être présentée à l'administrateur de la Caisse d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires […] dans les cinq ans suivant l'événement.

D'après les observations de la GCC selon lesquelles le Stelie II n'a pas causé un rejet de polluants, et puisque les mesures prises par la GCC visaient plutôt à répondre à une menace de pollution, je conclus que le délai de prescription applicable dans lequel la GCC peut déposer une demande d'indemnisation à la Caisse est de cinq ans à compter de la date de l'événement, soit le 24 mars 2016 selon ce qui nous a été indiqué. Par conséquent, la demande d'indemnisation de la GCC est admissible jusqu'au 25 mars 2021.

[11]           Plus tard le même jour, la GCC a demandé si l'administrateur accepterait qu'elle présente une demande d'indemnisation « provisoire » pour les frais d'intervention qu'elle avait engagés jusqu'à ce jour, laquelle serait suivie d'une deuxième demande d'indemnisation une fois que la GCC aurait engagé tous les frais prévus, y compris ceux liés à la déconstruction prévue du navire. La Caisse a répondu que l'administrateur ne ferait aucune « évaluation préalable », et qu'aucun « paiement partiel » ne serait versé avant la réception de la demande d'indemnisation complète. Dans sa réponse du 20 mars 2018, la GCC a indiqué qu'elle [traduction] « préférait, dans ce cas-ci, présenter la demande d'indemnisation provisoire, tout en reconnaissant que celle-ci ne serait pas traitée tant que le navire n'aurait pas été finalement éliminé. »

[12]           La Caisse a reçu la demande d'indemnisation « provisoire » de la GCC le 1er mai 2018. La lettre d'accompagnement disait, en partie, [traduction] « ceci est une demande d'indemnisation préliminaire qui peut être mise en suspens jusqu'à ce que la situation [de l'opération d'intervention concernant le Stelie II] soit résolue. La deuxième partie de la demande d'indemnisation vous sera envoyée à une date ultérieure. »

[13]           Le 5 juillet 2018, la Caisse a écrit ce qui suit à la GCC :

[traduction]

Nous voulons simplement nous assurer que la GCC est consciente que la « demande d'indemnisation provisoire », comme elle a été appelée, n'est pas encore officiellement une « demande d'indemnisation » faite à l'administrateur. Elle ne deviendra une demande d'indemnisation qu'au moment où la GCC présentera la partie 2 de la documentation.

[…] Le dépôt de la demande d'indemnisation provisoire n'a pas pour effet de suspendre le délai de prescription et n'a aucune incidence sur celui-ci.

[14]           La GCC a répondu en disant qu'elle comprenait la même chose que ce que la Caisse avait exprimé.

[15]           Comme il était entendu que les documents présentés jusqu'alors n'étaient pas censés être traités comme une demande d'indemnisation en vertu de l'article 103 de la LRMM, l'administrateur n'a pas enquêté sur la demande d'indemnisation du 1er mai 2018 et ne l'a pas évaluée. Il n'y a donc pas lieu de décrire le contenu de la « demande d'indemnisation provisoire » dans cette lettre, puisqu'il a été remplacé par celui de la demande d'indemnisation plus complète reçue le 8 octobre 2020.

 

LA DEMANDE D'INDEMNISATION REÇUE LE 8 OCTOBRE 2020

[16]           La demande d'indemnisation reçue le 8 octobre 2020 comprend un exposé qui décrit les événements relatifs à l'incident. Elle comprend aussi un sommaire des frais réclamés par la GCC ainsi que des documents justificatifs. Dans la mesure où l'exposé et les documents justificatifs se rapportent au rejet de la demande d'indemnisation de la GCC, leur contenu est examiné ci-après.

L'exposé et les photos

[17]           D'après l'exposé, le 23 mars 2016, la Gendarmerie royale du Canada (la « GRC ») a informé Transports Canada que le Stelie II, un navire de pêche en bois d'une longueur de 25,57 mètres, avait rompu ses amarres au chantier de Northern Boat Repair Ltd. (« NBR ») à Port Saunders (Terre-Neuve-et-Labrador). Le navire était amarré à cet endroit depuis longtemps. Sous l'effet de vents forts, il est allé à la dérive et s'est mis à gîter. Il semblait être en train de couler dans les eaux glacées du port. L'incident a été signalé à l'équipe d'intervention environnementale de la GCC.

[18]           L'officier de service en intervention environnementale a communiqué avec la personne qu'on croyait être le propriétaire du Stelie II. Cette personne a indiqué que le moteur du navire avait été démantelé et que les hydrocarbures se trouvant à bord avaient été enlevés.

[19]           Le 24 mars 2016, l'officier de service en intervention environnementale a parlé encore une fois à la personne qu'on croyait être le propriétaire du Stelie II. Cependant, cette personne a nié être le propriétaire et a dit que le navire appartenait plutôt à son frère. Un avis en vertu de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, L.C. 2001, ch. 26 a été envoyé au frère, afin de l'informer de ses responsabilités en vertu de cette loi et de lui donner un délai de 24 heures pour répondre à toute menace de pollution posée par le Stelie II. Trois membres du personnel d'intervention environnementale de St. John’s ont été dépêchés sur les lieux pour faire une évaluation du navire. Ils ont passé la nuit à Wiltondale et sont arrivés à Port Saunders le matin du 25 mars 2016.

Figure 3 : Copie d'écran d'une photo annotée tirée de l'exposé

 

[20]           L'exposé se poursuit ainsi pour le 25 mars 2016 :

[traduction]

À son arrivée, le personnel d'intervention environnementale […] a constaté que le navire n'avait pas d'amarres et qu'il gîtait dangereusement sur tribord. Le personnel d'intervention environnementale est monté à bord du navire et a effectué une évaluation. Au moment où le personnel d'intervention environnementale est monté à bord du navire, il a décelé une forte odeur de carburant diesel. La salle des machines était remplie d'eau aux trois quarts, et des polluants étaient dispersés un peu partout, y compris de l'huile lubrifiante, de l'huile hydraulique, du carburant diesel et des déchets d'hydrocarbures. Il y avait des bacs à huile et des seaux d'huile ouverts, des pots de peinture et des extincteurs d'incendie sur le pont, des fusées éclairantes dispersées çà et là, et d'autres polluants clairement visibles, en dépit du fait que le navire n'avait pas d'éclairage ni d'électricité. Le personnel d'intervention environnementale a déterminé que le navire posait une menace potentielle de pollution et que la meilleure mesure immédiate à prendre était de pomper l'eau du navire.

Une discussion a eu lieu entre le personnel d'intervention environnementale, le surintendant de l'intervention environnementale et le propriétaire [du chantier de NBR]. Le navire avait pris l'eau, probablement à la suite de dommages causés par le frottement/ragage du navire contre le quai pendant des mois. Dans l'état où était le navire, il n'était pas possible de le soulever hors de l'eau à l'aide du portique de transbordement du [chantier de NBR]. La GCC n'avait aucune raison de croire qu'elle pouvait compter sur le(s) propriétaire(s) pour surveiller adéquatement le navire ou prendre des mesures afin de prévenir de futures menaces de pollution. Étant donné qu'il aurait fallu surveiller le navire et le pomper de façon constante, il a été déterminé à ce moment-là que la mesure la plus efficace et la moins coûteuse pour prévenir la pollution était d'alléger le navire et de le sortir de l'eau, afin d'éviter qu'il ne coule et ne cause de la pollution dans l'environnement marin. De plus, il y avait un certain nombre de vulnérabilités dans le port, notamment des zones réglementées d'élevage de coquillages, une usine de transformation de fruits de mer, et trois sites archéologiques. Il fallait aussi tenir compte de la glace dans le secteur. Les hydrocarbures ont tendance à résister aux intempéries lorsqu'ils sont déversés sur la glace, ce qui peut prolonger leurs effets.

Le personnel d'intervention environnementale a enlevé autant d'eau que possible du navire à l'aide d'une pompe de quatre pouces, d'une pompe de deux pouces, d'une pompe submersible électrique et d'une génératrice pour faire fonctionner la pompe électrique. Bien que des efforts aient été déployés pour enlever les polluants du navire, il en est resté dans les espaces inaccessibles et il était risqué de demeurer à bord du navire.

Figure 4 : Copie d'écran d'une photo annotée tirée de l'exposé

 

[21]           Le 26 mars 2016, [traduction] « le personnel d'intervention a fini de vider l'eau du navire et [...] le propriétaire [du chantier de NBR] a utilisé son palangrier pour briser la glace près du portique de transbordement, afin de remorquer le Stelie II et de le mettre en place. Le navire a été soulevé hors de l'eau et déposé sur des blocs fournis par [NBR…] ». Le personnel d'intervention environnementale a quitté Port Saunders le lendemain matin, mais la GCC est restée en contact avec le propriétaire apparent du navire, afin de tenter de recouvrer les frais et de l'inciter à agir.

[22]           Le 4 avril 2016, la GCC [traduction] « a communiqué avec TriNav Marine Design afin de demander un devis pour l'inspection du navire. Le personnel d'intervention environnementale voulait ainsi obtenir un avis indépendant sur l'état du navire et les polluants se trouvant à bord, afin de l'éclairer sur les mesures les plus efficaces et les moins coûteuses à prendre. »

[23]            Puisqu'elle n'avait reçu aucun paiement ni aucune autre communication du propriétaire, la GCC a pris des dispositions pour faire inspecter le Stelie II le 18 août 2016.

[24]           Le 26 octobre 2016, [traduction] « le personnel d'intervention environnementale de la GCC a engagé Pardy's Waste pour enlever les polluants à bord du navire à l'aide de camions aspirateurs. Au total, 25 300 litres d'hydrocarbures et d'eau ont été enlevés du navire ce jour-là. Cependant, il est resté des polluants à bord qui étaient inaccessibles. »

[25]           Le Stelie II est resté entreposé pendant un certain temps, en partie à cause d'un conflit concernant la propriété qui a mené à des procédures devant la Cour fédérale et à la saisie du navire. En fin de compte, la saisie du navire a été levée à la suite d'une requête présentée par un tiers, soit la GCC.

[26]           En août 2019, le navire a été déconstruit aux frais de la GCC. À l'appui de sa décision de déconstruire le Stelie II, la GCC a dit dans son exposé que [traduction] « il restait des hydrocarbures inaccessibles à bord du navire » et que [traduction] « les bordages de la coque étaient imprégnés d'hydrocarbures ». Un membre du personnel d'intervention environnementale de la GCC s'est rendu à Port Saunders pour observer et photographier le processus de déconstruction du navire.

Figures 5, 6, 7 et 8 : Copies d'écran de photos annotées tirées de l'exposé

 

Sommaire des frais

[27]           Les frais réclamés par la GCC sont résumés comme suit dans sa demande d'indemnisation :

Table

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Figure 9 – Copie d'écran du sommaire des frais

Documents additionnels

[28]           La demande d'indemnisation comprend sept registres quotidiens du personnel et de l'équipement portant sur l'intervention de la GCC. L'entrée du 26 mars 2016 indique que le personnel de la GCC a pompé l'eau de la salle des machines du Stelie II avant de sortir le navire de l'eau.

[29]           La demande d'indemnisation comprend aussi un rapport d'inspection de trois pages produit par TriNav Marine Design Inc. (« TriNav »). Le rapport lui-même n'est pas daté, mais il indique que le Stelie II a été inspecté le 18 août 2016 pendant qu'il était placé sur des blocs. Le rapport de TriNav contient 13 pages de photos en noir et blanc du Stelie II. À cause de la faible qualité de reproduction de ces photos, elles sont peu utiles. Certains passages du rapport de TriNav sont pertinents à l'égard des constatations établies dans la présente lettre de décision :

[traduction]

Au moment de l'inspection, les espaces inférieurs du navire, y compris la cambuse, la salle des machines et la cale à poisson, étaient partiellement remplis de carburant et de liquides huileux. […]

Les évents de la salle des machines […] étaient corrodés et brisés et ils laissaient fuir de l'eau dans les espaces intérieurs et les espaces d'habitation. […]

Il y avait environ deux pieds d'eau huileuse dans la cale à poisson. Celle-ci était inaccessible.

Le compartiment machines était inaccessible à cause de la présence d'eau huileuse et de vapeurs de diesel. Le moteur était partiellement submergé au moment de l'inspection. Une ligne d'eau était visible sur la génératrice près de l'entrée, à environ 24 pouces du plafond, ce qui indiquait que le compartiment machines avait été submergé. […]

[30]           Enfin, la demande d'indemnisation comprend quatre pages de notes manuscrites qui semblent avoir été consignées par le personnel d'intervention de la GCC. Une entrée datée du 24 mars 2016 indique qu'un camion aspirateur de Pardy’s Waste Management and Industrial Services Ltd. (« Pardy’s ») avait été mis en attente le Vendredi saint, qui est tombé le 25 mars 2016 :

Text

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Figure 10 – Copie d'écran des notes de la GCC datées du 24 mars 2016 (le nom du représentant de Pardy's a été caviardé)

 

CORRESPONDANCE AVEC LE DEMANDEUR

[31]           L'administrateur a commencé à enquêter sur la demande d'indemnisation du 8 octobre 2020 et à l'évaluer dès qu'elle a été reçue. Durant ce processus, une préoccupation a été soulevée quant à savoir si le Stelie II avait en fait rejeté des hydrocarbures par suite de l'incident.

[32]           Le 26 février 2021, la Caisse a envoyé la demande de renseignements suivante à l'avocat de la GCC :

[traduction]

L'administrateur a des préoccupations à propos de la demande d'indemnisation de la GCC concernant le [Stelie II] […]. La GCC est invitée à fournir des documents supplémentaires en réponse à ces préoccupations.

Les documents relatifs à la demande d'indemnisation dont dispose l'administrateur indiquent que la GCC a pris connaissance de l'incident le 23 mars 2016. Le navire avait apparemment rompu ses amarres dans les eaux glacées du port et avait subi des dommages. Lorsque le personnel d'intervention environnementale de la GCC a évalué le navire le 25 mars 2016, il a constaté qu'il gîtait dangereusement. Il a pu monter à bord, cependant, et il a vu qu'il y avait des bacs à huile et des seaux d'huile ouverts sur le pont du navire. Il a aussi constaté qu'il y avait beaucoup d'eau mélangée aux hydrocarbures dans les espaces intérieurs. Il a pompé une certaine quantité de cette eau avant de faire enlever le navire et de le placer sur la terre ferme le 26 mars 2016.

La GCC a d'abord informé la Caisse de l'incident et de son intervention le 29 mars 2016. Au cours des années suivantes, la GCC et la Caisse ont échangé périodiquement des lettres au sujet de cette affaire. Le 7 mars 2018, la GCC a affirmé à la Caisse que le navire n'avait pas causé un rejet de polluants.

Après avoir reçu la demande d'indemnisation du 8 octobre 2020, l'administrateur a commencé son enquête et son évaluation. À ce stade, il a semblé à l'administrateur que le Stelie II avait en fait probablement causé un rejet d'hydrocarbures à un moment donné vers la fin de mars 2016.

Bien que la preuve ne fasse aucune mention expresse d'un tel rejet, il est raisonnable de conclure qu'un rejet s'est produit. Comme il est noté ci-haut, d'après l'exposé de la GCC, le navire gitaît dangereusement et il y avait des bacs à huile et des seaux d'huile sur le pont. En raison du grave degré d'inclinaison, il se peut qu'une certaine quantité de ces hydrocarbures ait été rejetée dans l'eau. De plus, et en particulier, les documents de la GCC n'expliquent nullement ce qui a été fait de la quantité vraisemblablement importante d'eau huileuse qui a été pompée du navire les 25 et 26 mars 2016. En l'absence de preuve montrant que cette eau contaminée a été isolée et éliminée selon des modes de gestion de déchets appropriés, il semble probable qu'une partie ou la totalité de cette eau contaminée ait été rejetée dans les eaux du port. Un tel rejet d'eau huileuse aurait probablement causé des « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures », comme le prévoit la partie 7 de la LRMM, ce qui aurait entraîné l'application du délai de prescription de deux ans, lequel aurait expiré vers la fin de mars 2018. Par conséquent, il se peut que la demande d'indemnisation ne soit pas du tout admissible.

À la lumière des paragraphes qui précèdent, nous invitons la GCC à présenter tout document pertinent qu'elle pourrait avoir en sa possession, et à faire tout commentaire qu'elle pourrait vouloir formuler, au plus tard le 31 mars 2021.

[33]           L'avocat de la GCC a répondu le 31 mars 2021 :

[traduction]

Au cours de l'évaluation de l'incident du Stelie II, la GCC a conclu que le navire était sur le point de couler et de rejeter des polluants dans l'environnement marin. Il était essentiel de sortir le navire de l'eau ou d'arrêter l'infiltration d'eau. Étant donné qu'aucun plongeur n'était disponible et que le port était couvert de glace, le seul moyen d'éliminer la menace de pollution était de sortir le navire de l'eau. Afin de pouvoir le faire en toute sécurité, l'eau a été pompée du navire pour l'alléger. La crépine/le boyau d'admission de la pompe a été placé au fond du navire pour enlever l'eau de mer et non pas les hydrocarbures qui flottaient à la surface. Cette technique est employée très souvent pour enlever l'eau de mer afin d'alléger un navire, sans toutefois pomper les hydrocarbures durant les opérations de sauvetage. L'eau de mer a été rejetée dans le port. À aucun moment n'a-t-on observé des hydrocarbures ou de l'eau huileuse durant le processus de pompage de l'eau, y compris les 25 et 26 mars 2016. La Garde côtière n'a observé aucun rejet provenant des bacs ou des seaux ouverts et, à sa connaissance, un tel rejet ne s'est pas produit. Tout rejet d'hydrocarbures ou d'eau huileuse aurait été très facile à voir sur la glace blanche qui couvrait le port. Par la suite, une fois le navire sorti de l'eau, les polluants à bord du navire ont été enlevés à l'aide d'un camion aspirateur. La GCC a fait une inspection minutieuse pour voir s'il y avait des polluants sur la glace blanche qui couvrait le port. Si des polluants avaient été découverts à un moment quelconque, l'équipe d'intervention environnementale serait intervenue pour les récupérer en employant des mesures sûres, raisonnables et appropriées. Pendant l'intervention en réponse à l'incident, un certain nombre d'habitants de l'endroit se trouvaient sur le quai pour observer les opérations, et personne n'a jamais aperçu des hydrocarbures sur la glace dans le port.

La GCC a pour mandat de protéger l'environnement marin, et l'équipe d'intervention environnementale de la région de l'Atlantique est très fière de son engagement envers ce mandat dans l'intérêt de tous les Canadiens et Canadiennes. La GCC a sorti le navire de l'eau pour protéger l'environnement marin, parce qu'il était endommagé et qu'il allait finir par couler au quai et polluer le port. Le propriétaire ne voulait pas intervenir en réponse à l'incident, alors la GCC est intervenue et a enlevé le navire endommagé. Les mesures prises par la GCC en réponse à cet incident étaient raisonnables et appropriées pour atténuer la menace de pollution. Si la CIDPHN dispose d'une preuve montrant que de la pollution a été causée dans le port de Port Saunders (T.-N.-L.) durant l'intervention en réponse au navire de pêche Stelie II, la GCC lui serait reconnaissante de divulguer cette preuve.

Nous voulons aussi souligner que la Garde côtière soutient que toute conclusion de fait tirée par la CIDPHN doit reposer clairement sur la preuve fournie. La Garde côtière s'inquiète aussi de ce que la CIDPHN puisse conclure que le délai de prescription commence à courir à la date inconnaissable d'un rejet possible qui ait pu se produire dans le passé. […]

[34]           Aucun autre document n'était joint à la réponse de l'avocat reproduite ci-haut.

 

ENQUÊTE

[35]           Au cours de l'enquête sur la demande d'indemnisation de la GCC, la Caisse a communiqué avec le détachement de la GRC à Port Saunders et le propriétaire du chantier de NBR dans le but de mieux comprendre si l'incident ait pu entraîner un rejet d'hydrocarbures. La GRC a confirmé qu'aucun de ses agents ne s'est rendu sur les lieux, et le propriétaire du chantier de NBR ne se souvenait pas si des hydrocarbures avaient été observés dans le port ou sur la glace autour du Stelie II.

[36]           La Caisse a aussi communiqué avec Pardy’s. Avant la déclaration faite par la GCC le 31 mars 2021, on croyait qu'il était possible, d'après la note manuscrite illustrée à la figure 10, que le personnel de Pardy's venu de Pasadena ait été présent sur les lieux de l'incident à Port Saunders avec un camion aspirateur aux moments pertinents. Pardy’s n'a pas confirmé ou nié sa présence sur les lieux et a refusé de discuter de ses contrats avec la GCC sans une autorisation spécifique.

 

CONSTATATIONS ET CONCLUSIONS

Les demandes d'indemnisation de la GCC présentées à l'administrateur relèvent de deux régimes distincts

[37]           La LRMM prévoit deux principaux mécanismes selon lesquels l'administrateur peut payer une demande d'indemnisation :

         le paragraphe 101(1), qui impose à la Caisse la responsabilité des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causés par un navire, si l'un ou l'autre d'une série de critères est rempli; et

         le paragraphe 103(1), qui permet de présenter une demande d'indemnisation directement à l'administrateur, indépendamment du fait que l'un ou l'autre des critères prévus au paragraphe 101(1) soit rempli.

[38]           La GCC a présenté sa demande d'indemnisation actuelle en vertu des deux dispositions énoncées ci-haut.

[39]           Selon la LRMM, les pouvoirs décisionnels de l'administrateur ne s'appliquent pas aux demandes d'indemnisation présentées en vertu du paragraphe 101(1). L'administrateur peut tenir des discussions en vue de parvenir à un règlement concernant les demandes d'indemnisation faites en vertu du paragraphe 101(1), mais il ne peut prendre des décisions au sujet de ces demandes d'indemnisation. Pour cette raison, la demande d'indemnisation de la GCC présentée en vertu du paragraphe 101(1) n'est pas examinée plus en détail dans cette lettre.

La demande d'indemnisation de la GCC pourrait être admissible en vertu du paragraphe 103(1)

[40]           Selon le mécanisme prévu au paragraphe 103(1) de la LRMM, un demandeur peut présenter une demande d'indemnisation directement à l'administrateur. Sur réception d'une demande d'indemnisation présentée en vertu du paragraphe 103(1), l'administrateur fait une enquête et une évaluation, il rend une décision, et il verse une indemnité s'il y a lieu. Les demandes d'indemnisation présentées en vertu du paragraphe 103(1) sont assujetties à un certain nombre de critères d'admissibilité, lesquels sont examinés ci-après.

[41]           L'incident a causé ou a menacé de causer des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures dans la mer territoriale ou les eaux intérieures du Canada, et il a occasionné des frais pour la prise de mesures visant à prévenir d'autres dommages. La demande d'indemnisation relative à l'incident pourrait donc être admissible.

[42]           La GCC est un demandeur admissible pour l'application de l'art. 103 de la LRMM.

[43]           Certains frais réclamés semblent avoir été engagés pour la prise de mesures raisonnables visant à « prévenir, contrer, réparer ou réduire au minimum » les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par un navire, comme le prévoit la partie 6, section 2 de la LRMM, et ils pourraient donc être indemnisables.

[44]           Étant donné que le Stelie II peut avoir été un « bâtiment de mer » ou un « engin marin » aux fins de la Convention sur les hydrocarbures de soute, et que certains frais réclamés par la GCC peuvent avoir été engagés pour la prise de « mesures de sauvegarde » comme le prévoit la Convention, il est considéré que la Convention et la partie 6, section 1 de la LRMM pourraient s'appliquer au lieu de la partie 6, section 2.

[45]           La demande d'indemnisation est donc admissible, sous réserve du respect de tout délai de prescription applicable. Dans ce cas-ci, pour déterminer si la demande d'indemnisation a été présentée dans le délai applicable prescrit au paragraphe 103(2) de la LRMM, il faut établir d'importantes constatations de fait et de droit.

Le délai de prescription applicable aux demandes d'indemnisation en vertu du paragraphe 103(1) de la LRMM

[46]           Le paragraphe 103(1) de la LRMM, tel qu'il existait au moment de l'incident, prévoit ce qui suit :[2]

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[47]           Les demandes d'indemnisation présentées en vertu du paragraphe 103(1) de la LRMM sont assujetties aux délais de prescription énoncés au paragraphe 103(2) :

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[48]           Il y a une certaine ambiguïté dans la version anglaise de l'alinéa 103(2)a) qui doit être analysée pour déterminer si, d'après les faits, l'incident a causé des « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures » plus de deux ans avant que l'administrateur ne reçoive la demande d'indemnisation de la GCC du 8 octobre 2020. L'emploi du mot « the » devant « oil pollution damage » à l'alinéa 103(2)a) prête à confusion. Le mot « the » est un article défini, généralement employé pour désigner un concept qui a déjà été introduit. Toutefois, tel qu'il est employé à l'alinéa 103(2)a), il n'est pas clair à première vue ce que l'article défini désigne. Il se peut, par exemple, qu'il désigne les dommages spécifiques faisant l'objet d'une demande d'indemnisation. Par ailleurs, il se peut qu'il désigne un événement singulier où un rejet a causé des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures. Il est à noter que cette ambiguïté n'existe pas dans la version française de la même disposition. ce qui veut dire que cette dernière interprétation est probablement plus exacte.

[49]           Cependant, avant d'examiner l'ambiguïté mentionnée ci-haut, il faut d'abord déterminer si l'incident a entraîné un « rejet » d'hydrocarbures. En effet, il ne peut y avoir de « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, tels que définis dans la LRMM, à moins qu'il y ait eu un rejet d'une certaine quantité d'hydrocarbures. Le paragraphe 91(1) définit « rejet » comme étant le « rejet [d'un hydrocarbure] qui, directement ou indirectement, atteint l'eau, notamment par déversement, fuite, déchargement ou chargement par pompage, rejet liquide, émanation, vidange, rejet solide et immersion », et il définit « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures » comme étant les « pertes ou dommages extérieurs [à un] navire et causés par une contamination résultant du rejet d'hydrocarbures par ce navire ».

Il est probable qu'un rejet d'hydrocarbures se soit produit par suite de l'incident et de l'intervention en réponse à celui-ci

[50]           Lorsque le personnel de la GCC est arrivé à Port Saunders le matin du 25 mars 2016, il a constaté que le Stelie II gîtait dangereusement sur tribord. Bien que la GCC n'ait fourni aucune photo du navire prise ce matin-là, avant le début de l'opération de pompage, il est plus probable qu'improbable que le navire était à ce moment-là plus enfoncé dans l'eau que ne le montre la photo illustrée à la figure 3, qui a été prise dans la soirée du 24 mars 2016.

[51]           Le personnel de la GCC a constaté qu'il y avait des seaux d'huile et des bacs à huile ouverts sur le pont du navire (voir la figure 2). Pour ces raisons, il est déterminé, selon la prépondérance des probabilités, qu'une partie de cette huile s'est échappée.

[52]           Premièrement, le Stelie II a commencé à gîter le 23 ou le 24 mars 2016, et il a continué de gîter jusqu'au début de l'opération de pompage le 25 mars 2016. D'après les photos jointes à la demande d'indemnisation, la configuration du navire n'aurait pas empêché l'huile contenue dans les récipients ouverts se trouvant sur le pont de se répandre par-dessus bord lorsque le navire s'est incliné fortement sur un côté. De plus, les récipients eux-mêmes auraient inévitablement glissé et se seraient entrechoqués lorsque le navire s'est incliné.

[53]           Deuxièmement, le Stelie II a dérivé sur une certaine distance avant l'arrivée du personnel de la GCC à Port Saunders. À cause du temps orageux, le navire a rompu ses amarres le 23 mars 2016, il est allé à la dérive dans la glace, et il a heurté l'autre côté du quai, après s'être déplacé latéralement à travers la glace et l'eau sur une distance d'environ 60 pieds (voir les figures 1 et 3, cette dernière semblant montrer les amarres rompues du navire de l'autre côté du quai par rapport à l'endroit où il s'est finalement immobilisé). On ne sait rien à propos des conditions météorologiques orageuses ou de leur durée (il y a une lacune dans les données météorologiques historiques pertinentes d'Environnement Canada), mais il est déterminé que la tempête était assez violente, car elle a causé la rupture des amarres qui retenaient le navire.

[54]           Aucune des cinq photos montrant le côté tribord du navire et la glace dans le port ne semble montrer des signes d'un rejet d'hydrocarbures, ce que l'avocat de la GCC a souligné dans sa lettre du 31 mars 2021 à la Caisse. Mais l'absence d'une preuve visuelle n'est pas tout à fait déterminante à l'égard de la question en cause. S'il y a effectivement eu un rejet, les souillures d'hydrocarbures qui en auraient résulté pourraient ne pas être faciles à voir dans des photos prises d'une certaine distance, comme l'ont été toutes les photos montrant le côté tribord du navire. De plus, tout rejet d'hydrocarbures pourrait s'être quelque peu dispersé durant la tempête.

[55]           L'avocat de la GCC soutient que tout rejet d'hydrocarbures aurait été facile à voir à la surface de [traduction] « la glace blanche qui couvrait le port ». Cette affirmation est difficile à concilier avec le fait que le Stelie II a bougé, de même que la glace dans le port. La glace couvrant le port n'aurait pas pu rester contiguë au navire du 23 au 25 mars 2016, car le Stelie II s'est déplacé à travers la glace, poussé par le vent et les vagues, ou une combinaison des deux.

[56]           Le diagramme ci-dessous montre la situation du Stelie II du 23 au 24 mars 2016. Il est entendu que le navire a rompu ses amarres au « Quai A » le 23 mars 2016, qu'il s'est déplacé dans le port à travers l'eau et la glace, et qu'il s'est immobilisé au « Quai B » le ou vers le 24 mars 2016. Il est demeuré à cet endroit le 25 mars 2016, et peut-être aussi jusqu'au lendemain.

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Diagramme 1 – La situation du Stelie II les 23 et 24 mars 2016

[57]           La probabilité d'un rejet provenant des récipients ouverts qui se trouvaient sur le pont du Stelie II n'est pas isolée. Il y a eu un deuxième événement qui aurait pu facilement causer un rejet d'hydrocarbures dans l'eau.

[58]           Lorsque le personnel de la GCC est monté à bord du Stelie II le 25 mars 2016, il a senti une odeur de diesel et a constaté que [traduction] « La salle des machines était remplie d'eau aux trois quarts, et des polluants étaient dispersés un peu partout, y compris de l'huile lubrifiante, de l'huile hydraulique, du carburant diesel et des déchets d'hydrocarbures. » TriNav a noté par la suite que l'infiltration d'eau avait atteint de nombreux espaces internes inférieurs du navire (sinon tous), et la mention de la présence d'hydrocarbures dans ces espaces, y compris la cale à poisson, semble indiquer que l'eau se déplaçait librement entre les compartiments du navire, emportant avec elle les hydrocarbures contaminants. De toute façon, les documents fournis par la GCC indiquent que l'eau a été pompée de la salle des machines du navire, où une grande partie des machines étaient submergées et auraient laissé fuir des hydrocarbures.

[59]           Durant les premiers stades de l'enquête et de l'évaluation, on a d'abord pensé que la GCC avait peut-être pompé l'eau du Stelie II dans un camion aspirateur de Pardy’s qui avait été mis en attente (voir la figure 10). Ce n'est pas ce qui est arrivé. D'après la déclaration de la GCC du 31 mars 2021, l'eau qui a été enlevée du navire durant l'opération de pompage les 25 et 26 mars 2016 a été rejetée dans le port.

[60]           Dans la photo illustrée à la figure 1, prise le 25 mars 2016, on peut voir un boyau vert qui s'étend du côté bâbord du navire jusqu'au quai (le « Quai B » montré dans le diagramme 1). Il est probable que ce boyau était fixé à la pompe de quatre pouces mentionnée dans l'exposé. Bien que la pompe elle-même ne soit pas visible dans la photo, il est conclu que l'eau pompée du Stelie II a été rejetée de l'autre côté du quai, vis-à-vis du navire. Aucune des photos fournies par la GCC ne montre cet agencement, ni l'eau ou la glace de l'autre côté du quai où se trouvait le Stelie II, où le rejet a dû se produire. La conclusion concernant cet agencement a plutôt été tirée de la preuve disponible.

[61]           La quantité d'eau pompée par-dessus bord aurait été considérable – il y avait plusieurs pieds d'eau dans la salle des machines à elle seule. Si on se base sur l'opération de pompage menée plus tard par Pardy's, qui a enlevé seulement deux pieds d'eau huileuse des espaces inférieurs du navire alors qu'il était sur la terre ferme, la quantité d'eau pompée par-dessus bord en mars 2016 a dû dépasser 25 000 litres. L'exposé et le rapport d'inspection de TriNav font état de niveaux d'eau qui auraient en grande partie submergé les machines du navire. Comme il a déjà été noté, cela aurait entraîné la fuite d'une certaine quantité d'huile lubrifiante. De plus, il est évident qu'au moins une certaine quantité de carburant diesel s'est échappée des réservoirs du navire. Enfin, les photos illustrées aux figures 5 à 8 montrent que du matériel absorbant a été utilisé durant la déconstruction du navire : certains bordages internes et la cale semblent avoir été souillés par les hydrocarbures. Étant donné que l'eau dans la salle des machines du navire a été exposée à différents types d'hydrocarbures flottant librement sur tous les côtés, elle a dû être contaminée.

[62]           La lettre de l'avocat de la GCC dit que le personnel de la GCC et d'autres témoins non nommés n'ont pas vu d'hydrocarbures dans les eaux du port à la suite de l'opération de pompage. La lettre ne précise pas si l'un ou l'autre de ces témoins a été présent durant toute l'opération de pompage et a confirmé qu'il n'a pas vu d'hydrocarbures (mais qu'il n'a pas consigné ses observations à ce moment-là), ou si la GCC affirme simplement que les membres du personnel de la GCC auraient constaté un rejet pendant qu'ils effectuaient d'autres tâches.

[63]           La lettre de l'avocat de la GCC dit que [traduction] « À aucun moment n'a-t-on observé des hydrocarbures ou de l'eau huileuse durant le processus de pompage de l'eau » [soulignement dans l'original], et qu'il faut donc en conclure qu'il n'y pas eu de rejet. Il y a une différence entre l'absence observée de rejet et l'absence d'observation d'un rejet. Cette dernière est beaucoup plus faible, et c'est ce que la GCC semble affirmer. Ainsi, l'affirmation selon laquelle l'absence d'une observation devrait permettre de conclure qu'il n'y a pas eu de rejet d'hydrocarbures n'est pas acceptée.

[64]           La GCC soutient également que, lorsque son personnel a pompé l'eau du Stelie II par-dessus bord, le boyau d'admission de la pompe a été placé au fond du navire de manière à ne pas rejeter les hydrocarbures qui flottaient à la surface de l'eau à l'intérieur du navire. L'administrateur ne bénéficie pas de la déclaration d'un témoin direct qui a vu ce qui a été fait.

[65]           Sur ce point, il convient aussi de noter que la déconstruction du Stelie II représente une grande partie des frais réclamés par la GCC. Les frais de déconstruction d'un navire peuvent être admissibles si le navire lui-même constitue une menace de pollution par les hydrocarbures. Par exemple, les frais de déconstruction peuvent être indemnisables lorsqu'un navire en bois est tellement saturé d'hydrocarbures que, s'il était envahi par l'eau, ses bordages causeraient un rejet d'hydrocarbures dans l'eau. La GCC semble affirmer que le Stelie II était dans un tel état même après que toute l'eau ait été pompée du navire.

[66]           Dans de telles circonstances, le fait d'avoir placé un boyau au fond de l'eau à l'intérieur de la salle des machines du Stelie II n'aurait pas nécessairement suffi à éviter un rejet d'hydrocarbures. La GCC semble soutenir elle-même que des hydrocarbures ont continué de s'échapper des bordages du navire et, comme il a été noté, les photos jointes à la demande d'indemnisation montrent qu'il y avait encore une présence considérable d'hydrocarbures à bord du navire. Par conséquent, même si la GCC avait réussi à éviter de pomper les hydrocarbures se trouvant à la surface de l'eau à l'intérieur du Stelie II, on ne pourrait pas conclure avec certitude qu'il n'y a pas eu rejet.

[67]           Par conséquent, indépendamment de l'affirmation de la GCC quant à l'absence d'observation d'un rejet et au positionnement du boyau d'admission de la pompe, étant donné la grande quantité d'eau qui a été pompée et l'état contaminé du Stelie II, il est conclu qu'un rejet d'hydrocarbures s'est produit durant l'opération de pompage. Il faut aussi tenir compte de l'huile qui se trouvait dans des récipients ouverts sur le pont du navire, ce qui renforce la conclusion selon laquelle un rejet d'hydrocarbures s'est produit durant ou avant l'intervention de la GCC les 25 et 26 mars 2016.

La demande d'indemnisation a été reçue plus de deux ans après qu'un rejet d'hydrocarbures se soit produit

[68]           La présente demande d'indemnisation a été reçue le 8 octobre 2020. Il a été conclu qu'un rejet d'hydrocarbures s'est produit par suite de l'incident à un moment donné entre le 23 et le 26 mars 2016. Étant donné que la demande d'indemnisation n'a pas été présentée dans le plus court des délais de prescription qui peuvent s'appliquer, il faut examiner si la demande d'indemnisation est admissible selon le paragraphe 103(1).

L'interprétation appropriée de l'alinéa 103(2)a) appliquée aux faits

[69]           L'administrateur a récemment rendu des décisions concernant l'interprétation appropriée de l'alinéa 103(2)a) de la LRMM, y compris le seuil approprié à appliquer pour déterminer si des « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures » se sont produits aux fins de cette disposition. Ces décisions se trouvent dans la lettre que l'administrateur a adressée à la GCC le 17 mai 2021 en réponse à sa demande d'indemnisation concernant l'incident impliquant le navire de pêche Miss Terri.[3] Les décisions pertinentes sont résumées brièvement ci-après.

[70]           Premièrement, l'interprétation appropriée de l'alinéa 103(2)a) est que le délai de prescription est de deux ans suivant les premiers « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures » résultant d'un incident. Le même délai de prescription s'applique donc à toutes les demandes d'indemnisation découlant des mêmes faits.

[71]           Deuxièmement, le seuil approprié pour déterminer si des « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures » se sont produits aux fins du paragraphe 103(2) est très faible. Il suffit qu'il y ait eu un rejet entraînant une contamination par les hydrocarbures qui produit une dégradation de la qualité de l'eau. Ce critère ne dépend pas de la question de savoir si des dommages considérables ont effectivement été causés à l'environnement ou aux biens.

[72]           Il a été conclu précédemment que le Stelie II a causé un ou des rejets d'hydrocarbures à un moment donné entre le 23 et le 26 mars 2016. La présente demande d'indemnisation n'a pas été reçue par l'administrateur dans les deux ans suivant ces dates.

[73]           Il ne reste qu'à déterminer si le ou les rejets qui se sont produits ont causé des « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures », selon la définition de cette expression au paragraphe 91(1) de la LRMM. Étant donné le faible seuil décrit ci-haut, et en particulier parce que la salle des machines du Stelie II était considérablement souillée par les hydrocarbures en mars 2016, il est conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le ou les rejets en question ont causé des « dommages dus à la pollution par les hydrocarbures » et que ces dommages se sont produits la première fois à un moment donné entre le 23 et le 26 mars 2016.

[74]           Par conséquent, le délai de prescription énoncé à l'alinéa 103(2)a) a expiré à un moment donné entre le 23 et le 26 mars 2018. La demande d'indemnisation que la GCC a présentée à l'administrateur n'est donc pas admissible en vertu du paragraphe 103(1).

[75]           La demande d'indemnisation est rejetée.

 

***

 

CONCLUSION

[76]           Dans votre examen de la présente lettre de rejet, veuillez prendre note des choix et des délais suivants énoncés à l'article 106 de la LRMM.

[77]           En vertu du paragraphe 106(2) de la LRMM, le rejet d'une demande d'indemnisation peut être porté en appel devant la Cour fédérale dans les 60 jours suivant la réception de l'avis de rejet. Si vous souhaitez interjeter appel du rejet, conformément aux règles 335(c), 337 et 338 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, vous pouvez le faire en déposant un avis d'appel établi selon la formule 337. Vous devez le signifier à l'administrateur, qui sera désigné à titre d'intimé dans l'appel. En vertu des règles 317 et 350 des Règles des Cours fédérales, vous pouvez demander une copie certifiée conforme des documents de l'office fédéral.

Je vous prie d'agréer mes meilleures salutations.

L'administrateur adjoint de la Caisse d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires,

 

 

Mark A.M. Gauthier, B.A., LL.B.



[1] D'après la preuve qui suit, cette mention du côté bâbord du navire est considérée comme étant une erreur, car le navire gîtait en fait sur tribord.

[2] Toutes les références à la LRMM dans la présente lettre se rapportent à la version de la loi qui était en vigueur au moment de l'incident.

[3] Voir en particulier les paragraphes 54 à 77 de la décision concernant le Miss Terri.

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