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LETTRE DE REJET

 

Ottawa, le 4 août 2021

Dossier de la CIDPHN : 120-822-C1

 

PAR COURRIEL

Haida Tourism Limited Partnership

a/s Bernard LLP

570, rue Granville, bureau 1500

Vancouver (Colombie-Britannique)

V6C 3P1

OBJET : West Island 395 – Île Lina (Colombie-Britannique)

    Date de l'incident : 2018-09-08

 

SOMMAIRE ET REJET

[1]               Cette lettre est en réponse à une demande d'indemnisation présentée au nom de Haida Tourism Limited Partnership (« Haico »), par son avocat, concernant le chaland de logement West Island 395. Le West Island 395, aussi nommé le « Tasu 1 » dans certaines parties de la demande d'indemnisation, est appelé le « navire » dans la présente lettre de décision. Le navire s'est échoué le 8 septembre 2018 sur l'île Lina, en Colombie-Britannique, et a causé un incident de pollution par les hydrocarbures (l'« incident »).

[2]               Le 14 janvier 2019, le bureau de l'administrateur de la Caisse d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires a reçu la demande d'indemnisation fondée sur l'alinéa 101(1)b) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6 (la « LRMM »). Dans sa demande d'indemnisation, Haico a réclamé la somme de 1 857 314,06 $ pour les frais des mesures d'intervention qu'il a prises en réponse à l'incident, en plus de certains frais additionnels qui n'avaient pas encore été quantifiés à la date de la présente lettre.

[3]               Bien que les documents de la demande d'indemnisation initiale de Haico et la correspondance qu'il a échangée ultérieurement avec le bureau de l'administrateur aient fait référence aux articles 101 et 109 de la LRMM, Haico a fait savoir par la suite que sa demande d'indemnisation devrait être évaluée comme si elle avait été présentée en vertu du paragraphe 103(1). Il a été déterminé que la recatégorisation rétroactive de la demande d'indemnisation de Haico était acceptable pour les motifs exposés dans la présente décision.

[4]               Le fait que Haico ait demandé à obtenir une indemnisation en vertu de la LRMM n'est pas conventionnel. Haico est le propriétaire d'un navire polluant. Le principal objet des parties 6 et 7 de la LRMM et des conventions internationales mises en application par la LRMM est d'indemniser ceux qui sont touchés par la pollution par les hydrocarbures causée par les navires, selon le principe du pollueur-payeur. À cette fin, les propriétaires de navires polluants sont tenus strictement responsables, sous réserve de quelques moyens de défense limités et restreints. Dans la grande majorité des incidents de pollution par les hydrocarbures causés par les navires, le seul moyen de défense efficace dont dispose le propriétaire d'un navire polluant est la possibilité de limiter sa responsabilité en fonction de la jauge brute du navire en cause, en vertu de la partie 3 de la LRMM.

[5]               Haico affirme qu'il peut faire valoir avec succès l'un des moyens de défense restreints pouvant être opposés à la responsabilité. Il dit que l'incident était entièrement imputable à un acte de sabotage commis intentionnellement par un tiers. Si Haico réussit à établir ce moyen de défense, il ne sera pas tenu responsable envers les tiers en vertu de la LRMM. Cependant, même si ce moyen de défense est établi, aucune disposition de la LRMM, à première vue, ne donne le droit à un propriétaire de navire d'obtenir une indemnisation de la Caisse d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires (la « CIDPHN »).

[6]               En réponse à cela, Haico dit que le paragraphe 103(1), à la partie 7 de la LRMM, n'interdit pas explicitement aux propriétaires de navires polluants de faire une demande d'indemnisation. Le paragraphe 103(1) désigne plutôt les pertes, les dommages et les frais visés à la partie 6, et plus précisément à l'article 77 – les pertes, les dommages et les frais dont un propriétaire de navire est normalement tenu strictement responsable. Haico soutient que les dommages décrits à l'article 77 devraient – aux fins des demandes d'indemnisation présentées en vertu du paragraphe 103(1) – être lus isolément de leur lien direct avec la responsabilité du propriétaire de navire. Cela voudrait dire qu'un propriétaire de navire pourrait engager les frais décrits à l'article 77, et que ces frais pourraient ensuite être recouvrés auprès de la CIDPHN en faisant une demande d'indemnisation à l'administrateur en vertu du paragraphe 103(1). De plus, Haico dit que la partie 7 de la LRMM devrait suivre le modèle d'une convention internationale qui permet expressément aux propriétaires de navires d'obtenir une indemnisation dans certaines circonstances limitées et définies.

[7]               L'interprétation donnée par Haico n'est pas acceptée. Le sens qu'il propose d'attribuer au texte de la LRMM repose sur une lecture sélective arbitraire. Dans la mesure où il existe une quelconque ambiguïté, l'interprétation proposée par Haico, si elle était acceptée, porterait atteinte à l'objet fondamental des parties 6 et 7 de la LRMM.

[8]               Par conséquent, la demande d'indemnisation que Haico a présentée à l'administrateur en vertu du paragraphe 103(1) de la LRMM est rejetée. Les motifs détaillés du rejet sont exposés ci-après, à la suite d'une description de l'historique procédural pertinent.

 

HISTORIQUE PROCÉDURAL DE LA DEMANDE D'INDEMNISATION DE HAICO

[9]               L'historique procédural de la demande d'indemnisation de Haico est inhabituel et très long. En raison de la possibilité qu'un délai de prescription puisse s'appliquer à la demande d'indemnisation, l'historique procédural et les décisions prises sur la manière de traiter le dossier sont décrits ci-après.

La demande d'indemnisation de Haico du 14 janvier 2019

[10]           Le 14 janvier 2019, le bureau de l'administrateur a reçu une demande d'indemnisation présentée par Haico. La demande d'indemnisation était accompagnée d'une lettre et d'un sommaire contenant une brève description des événements relatifs à l'incident. La demande d'indemnisation comprenait aussi un sommaire des frais réclamés, des documents corroborants, ainsi que des rapports d'experts maritimes.

[11]           La lettre d'accompagnement de Haico, présentée par son avocat, se lit comme suit :

[traduction]

Notre client présente une demande d'indemnisation à la Caisse d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires (« la CIDPHN ») en vertu de l'alinéa 101(l)b) de la [LRMM] pour les frais des mesures d'atténuation qu'il a prises à Haida Gwaii, en Colombie-Britannique, le et après le 8 septembre 2018, date à laquelle le chaland s'est échoué dans la baie Bearskin, sur l'île Lina (l'« échouement »).

Pour ce qui est de l'échouement, l'ensemble de la preuve indique que les amarres du chaland ont été détachées intentionnellement et délibérément par un tiers qui avait manifestement l'intention de causer des dommages, offrant ainsi au propriétaire un moyen de défense en vertu de l'alinéa 77(3)b) de la LRMM. Les rapports à l'appui sont inclus dans les documents relatifs à notre demande d'indemnisation.

Nous soulignons également que nous avons retranché les frais de sauvetage des frais d'atténuation de la pollution. Nous joignons à cette lettre un cartable contenant les documents relatifs à la demande d'indemnisation de Haico, laquelle est sujette à modifications. Bien que nous ayons inclus les factures de la Western Canada Marine Response Corporation […], nous notons que le compte de la WCMRC est contesté au motif que la main-d'oeuvre et l'équipement déployés n'étaient pas nécessaires ou étaient disproportionnés. Nous aimerions obtenir l'avis de la CIDPHN sur la raisonnabilité de ce compte avant de le régler, afin de s'assurer que nous sommes d'accord à ce sujet.

[12]           Le sommaire se lit en partie comme suit :[1]

[traduction]

Le chaland Tasu 1 est un camp de pêche récréative, possédé et exploité par Haida Tourism Limited Partnership (« Haico »), qui s'est détaché de sa bouée d'amarrage dans la baie Alliford, à Haida Gwaii, est allé à la dérive et s'est échoué dans la baie Bearskin sur l'île Lina. Cet incident d'échouement s'est produit dans la soirée du 8 septembre 2018, et le gardien du Tasu 1 […] a communiqué avec la Garde côtière canadienne (« la GCC ») à 22 h 30 le 8 septembre 2018 pour l'aviser de l'incident d'échouement. Le type d'hydrocarbures risquant d'être rejetés par le chaland à cause de l'incident d'échouement était un mélange d'essence et/ou de diesel.

Le 9 septembre 2018 à 6 h 30, la GCC a communiqué avec [le gestionnaire des opérations de Haico], et [Haico] a immédiatement pris diverses mesures pour prévenir, contenir et atténuer les risques de pollution par les hydrocarbures de concert avec d'autres organismes. De plus, Haico a engagé deux experts maritimes pour enquêter sur la cause et pour évaluer les dommages et examiner la facturation. Les rapports de [nom omis], en particulier, séparent les frais d'atténuation de la pollution des frais de conservation.

L'ensemble de la preuve indique que les principales amarres du chaland ont été détachées intentionnellement et délibérément par un tiers qui avait manifestement l'intention de causer des dommages. Ainsi, l'alinéa 77(3)b) [de la LRMM] offre à Haico une défense complète contre la responsabilité des dommages dus à la pollution et des frais d'atténuation et de nettoyage connexes. Étant donné qu'elle est une partie innocente, Haico a le droit de faire une demande d'indemnisation à la Caisse d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires […].

Lettre de suivi de Haico du 21 mars 2019

[13]           Le 21 mars 2019, l'avocat de Haico a envoyé à l'administrateur une lettre de suivi, dans laquelle il demandait si des mesures avaient été prises en vertu de l'article 109 de la LRMM :

[traduction]

Comme suite à votre courriel du 15 janvier 2019, nous constatons que plus de 60 jours se sont écoulés depuis que l'administrateur de la Caisse d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires a accusé réception de la demande d'indemnisation de notre client.

Veuillez nous informer des mesures, s'il en est, qui ont été prises en vertu de l'article 109 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime. Entre-temps, nous vous demandons de bien vouloir nous fournir l'évaluation du compte de la Western Canada Marine Response Corporation (« la WCMRC ») faite par l'administrateur. Comme vous le savez, nous ne sommes pas d'accord avec le temps de travail de la WCMRC et nous contestons le compte au motif que la main-d'oeuvre et l'équipement qui ont été déployés n'étaient pas nécessaires ou étaient disproportionnés.

Bien que l'administrateur puisse se réserver tous les droits à l'égard de la responsabilité, nous lui demandons d'accélérer l'évaluation du compte de la WCMRC seulement en ce qui concerne le montant. Nous aimerions régler le compte de la WCMRC dès que possible, et nous voulons éviter de payer à la WCMRC un montant qui ne serait pas recouvrable par l'administrateur.

Enfin, nous sommes en train de préparer une demande d'indemnisation supplémentaire à la CIDPHN pour des frais tardifs qui ont été reçus récemment, et nous vous fournirons ces documents sous peu.

La demande d'indemnisation de Haico invoquant les articles 101 et 109 a plutôt été traitée en vertu du paragraphe 103(1)

[14]           La présente lettre de décision traite la demande d'indemnisation de Haico comme si elle avait été présentée en vertu du paragraphe 103(1) de la LRMM, en dépit du fait que la demande d'indemnisation initiale de Haico ait invoqué l'article 101 – plus précisément l'alinéa 101(1)b) – et l'article 109. L'administrateur a accepté que la demande d'indemnisation soit recatégorisée rétroactivement pour les motifs exposés ci-après.

[15]           Au départ, les communications entre Haico et le bureau de l'administrateur ont été confuses et quelque peu contradictoires. Le 18 octobre 2019, le bureau de l'administrateur a avisé Haico que sa demande d'indemnisation serait traitée comme indiqué dans les lettres initiales, c'est-à-dire comme une demande d'indemnisation potentielle en vertu des articles 101 et 109 de la LRMM. Dans sa lettre, le bureau de l'administrateur a aussi avisé Haico que des discussions en vue de parvenir à un règlement et des enquêtes à l'appui d'un tel règlement pourraient avoir lieu en prévision de l'introduction d'une procédure judiciaire. En raison de la confusion à propos de la façon dont la demande d'indemnisation de Haico devait être traitée, le bureau de l'administrateur a confirmé dans la même lettre que la demande d'indemnisation de Haico ne serait pas traitée comme une demande présentée en vertu du paragraphe 103(1), et il a informé Haico de l'avis préliminaire de l'administrateur selon lequel un propriétaire de navire ne peut être indemnisé par la CIDPHN en vertu de cette disposition.

[16]           Par la suite, dans le cadre de ce que l'administrateur considérait être des discussions en vue d'un règlement, le bureau de l'administrateur a examiné la preuve, il a consulté un expert et il a échangé des documents avec Haico sous toutes réserves. Les discussions se sont poursuivies jusqu'au 8 janvier 2021. À ce moment-là, l'administrateur a mis fin aux discussions en vue d'un règlement.

[17]           Haico a réagi en introduisant une procédure devant la Cour fédérale pour contester la décision de l'administrateur de ne pas régler sa demande d'indemnisation potentielle. Cela a mené à d'autres discussions entre l'avocat de Haico et le bureau de l'administrateur. L'avocat de Haico a indiqué que Haico et ses assureurs avaient toujours voulu obtenir une décision officielle de l'administrateur. Haico a été avisé qu'il n'y a aucun mécanisme dans la LRMM permettant à l'administrateur de rendre une décision administrative en réponse à une demande d'indemnisation (potentielle ou autre) fondée sur les articles 101 et 109.

[18]           À ce stade, l'avocat de Haico a soutenu que la demande d'indemnisation initiale de Haico avait en fait été présentée en vertu du paragraphe 103(1). L'avocat de Haico a expliqué que Haico avait fait référence explicitement à l'article 101 parce qu'il croyait qu'un demandeur devait établir l'un des critères énoncés à l'article 101 pour faire accepter une demande d'indemnisation présentée directement à l'administrateur en vertu du paragraphe 103(1).

[19]           Pour les motifs expliqués en détail plus loin dans la présente lettre de décision, l'opinion selon laquelle l'auteur d'une demande d'indemnisation présentée en vertu du paragraphe 103(1) doit satisfaire à l'un ou l'autre des critères énoncés à l'article 101 est incorrecte. Cependant, l'explication donnée par Haico à propos de son intention initiale a été acceptée, indépendamment du fait que plus de deux ans – le délai de prescription applicable aux demandes d'indemnisation présentées en vertu du paragraphe 103(1) s'il y a eu un rejet d'hydrocarbures – s'étaient écoulés depuis l'incident. Haico a été invité à présenter des observations sur la question de l'admissibilité d'une demande d'indemnisation faite par un propriétaire selon le processus prévu au paragraphe 103(1).

[20]           Le 16 mars 2021, l'avocat de Haico a présenté ces observations. Il a cherché à établir une analogie entre les Fonds internationaux d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures et la CIDPHN, en soulignant que les Fonds internationaux peuvent, dans certaines situations limitées, indemniser un propriétaire de navire qui prend volontairement des mesures d'intervention à la suite d'un incident de pollution par les hydrocarbures causé par son navire. De plus, l'avocat a fait les observations suivantes :

[traduction]

En vertu de l'article 103, toute « personne » (Haico est manifestement une « personne » du point de vue du droit) qui a engagé des « frais » visés à l'article 77 (à savoir, entre autres choses, pour la prise de mesures en prévision de rejets d'hydrocarbures, pour autant que ces mesures soient raisonnables), peut présenter une demande d'indemnisation à la CIDPHN.

Il ne faut pas confondre la responsabilité du propriétaire de navire en vertu de l'art. 77 avec les « frais » dont il est question à l'article 77. Ce sont deux choses séparées.

Il serait incohérent de suggérer qu'un propriétaire/exploitant de navire puisse présenter une demande d'indemnisation en vertu du par. 77(5), ce qui lui permettrait d'avoir part aux garanties même s'il est responsable, mais qu'il ne puisse pas avoir accès à la CIDPHN s'il n'est pas responsable.

[21]           Après avoir confirmé que la demande d'indemnisation serait considérée rétroactivement comme si elle avait été présentée en vertu du paragraphe 103(1), et après avoir reçu les observations de Haico sur la question de l'admissibilité, l'administrateur a pu procéder à l'évaluation de l'admissibilité de la demande d'indemnisation de Haico.

LA LRMM ET LES CONVENTIONS INTERNATIONALES ANNEXÉES À CELLE-CI

[22]           Par sa demande d'indemnisation, Haico cherche à obtenir de l'administrateur une indemnisation, à même la CIDPHN, pour les frais qu'il a engagés durant son intervention en réponse à l'incident. Haico soutient que, dans certaines circonstances, la LRMM oblige l'administrateur à indemniser les propriétaires de navires qui font une demande d'indemnisation.

[23]           Un examen de l'historique et de la structure actuelle de la LRMM et des conventions internationales annexées à celle-ci montre que l'interprétation proposée par Haico est paradoxale et, en définitive, problématique.

L'historique du régime canadien de responsabilité en matière de pollution par les hydrocarbures causée par les navires

[24]           Le régime juridique actuel régissant la responsabilité des propriétaires de navires est issu d'une réforme internationale de la responsabilité à l'égard des déversements d'hydrocarbures causés par les navires, à la suite d'un incident survenu en 1967 impliquant le superpétrolier Torrey Canyon, qui s'est échoué au large des côtes de l'Angleterre et qui a déversé une grande partie de sa cargaison de pétrole brut. Le déversement a causé une catastrophe environnementale très coûteuse et hautement médiatisée qui a touché les régions côtières très peuplées du Royaume-Uni et de la France.

[25]           À la suite de l'incident du Torrey Canyon, le régime juridique qui s'appliquait alors à de tels incidents s'est avéré peu satisfaisant. Premièrement, il n'a pas été possible d'amener les propriétaires américains du navire battant pavillon libérien à négocier avant qu'un navire jumeau ne soit saisi au Singapour. Deuxièmement, les propriétaires ont finalement pu limiter leur responsabilité à environ 4 millions de dollars, en dépit du fait que les demandes d'indemnisation aient excédé 22 millions de dollars. La reconnaissance de ces lacunes a conduit à un effort international visant à créer une nouvelle approche pour faire face aux coûts de tels incidents de pollution par les hydrocarbures causés par les navires.

[26]           En 1971, l'adoption de deux conventions internationales a considérablement modifié la responsabilité en cas de déversement d'hydrocarbures persistants par un pétrolier :

a.       la Convention internationale de 1969 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (la « Convention de 1969 sur la responsabilité civile »); et

b.      la Convention internationale de 1971 portant création d'un Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (la « Convention de 1971 portant création du Fonds »).

[27]           Les structures de la Convention de 1969 sur la responsabilité civile et de la Convention de 1971 portant création du Fonds reflétaient leur objet. La Convention de 1969 sur la responsabilité civile rendait les propriétaires de navire responsables des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, sans égard à la faute ou à la négligence, sous réserve seulement de moyens de défense limités et restreints. Le régime visait à acheminer les demandes d'indemnisation vers les propriétaires et à répartir les pertes réelles, plutôt qu'à imposer des sanctions punitives. À cette fin, la Convention de 1969 sur la responsabilité civile a établi des exigences minimales obligatoires en matière d'assurance, ainsi que des droits d'action directe contre les assureurs. Bien que les propriétaires et leurs assureurs étaient tenus de payer en premier, même s'ils n'étaient pas en faute, ils pouvaient limiter leur responsabilité, selon un régime basé sur la jauge spécialement conçu pour les pétroliers.

[28]           Une fois que la limite de responsabilité d'un propriétaire était atteinte, ou si un propriétaire établissait un moyen de défense contre la responsabilité, la Convention de 1971 portant création du Fonds pouvait fournir une indemnisation supplémentaire. Les indemnités versées selon la Convention de 1971 portant création du Fonds étaient financées au moyen de contributions imposées aux réceptionnaires d'hydrocarbures donnant lieu à contribution dans les États membres qui importaient des hydrocarbures par mer.

[29]           Le Canada, qui a subi deux incidents impliquant des pétroliers durant cette période,[2] n'a pas attendu l'entrée en vigueur du régime international. En 1971, il a créé un fonds national, appelé la Caisse des réclamations de la pollution maritime (la « CRPM »), à la partie XX de la Loi sur la marine marchande du Canada. Financée au moyen d'une contribution calculée par tonne d'hydrocarbures importés au Canada ou exportés par le Canada, la CRPM était accessible aux demandeurs qui avaient épuisé leur recours juridiques contre un propriétaire de navire.

[30]           Finalement, en 1989, le Canada a adopté et mis en application la Convention de 1969 sur la responsabilité civile et la Convention de 1971 portant création du Fonds, ce qui a renforcé son régime national.

Le régime actuel de responsabilité en matière de pollution par les hydrocarbures causée par les navires et la manière dont la demande d'indemnisation de Haico s'inscrit dans celui-ci

[31]           Les principes établis à l'origine dans la Convention de 1969 sur la responsabilité civile et la Convention de 1971 portant création du Fonds ont été mis au point et intégrés au régime international actuel, qui comprend maintenant :

a.       La Convention internationale de 1992 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, modifiée par la résolution de 2000 (la « Convention de 1992 sur la responsabilité civile »), qui a succédé à la Convention de 1969 sur la responsabilité civile, a augmenté les limites de la responsabilité des propriétaires de pétroliers et les exigences minimales en matière d'assurance;

b.      La Convention internationale de 1992 portant création d'un Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, modifiée par la résolution de 2000, y compris son protocole de 2003 (la « Convention de 1992 portant création du Fonds »), qui a succédé à la Convention de 1971 portant création du Fonds, a augmenté le montant total d'indemnisation offert aux demandeurs;

c.       La Convention internationale de 2001 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de soute (la « Convention sur les hydrocarbures de soute »), qui impose la responsabilité aux propriétaires de tous les bâtiments de mer et engins marins (pas seulement les pétroliers et pas seulement les hydrocarbures persistants), ainsi que des exigences obligatoires en matière d'assurance responsabilité pour les navires d'une jauge brute supérieure à 1 000; et

d.      La Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, modifiée par le protocole de 1996 (la « Convention sur la limitation de la responsabilité »), qui établit un régime selon lequel les propriétaires de navires autres que les pétroliers peuvent limiter leur responsabilité à l'égard d'incidents, notamment en constituant un fonds de limitation auprès d'un tribunal auquel toutes les demandes d'indemnisation doivent être soumises.

[32]           Les quatre conventions sont mises en application au Canada par la LRMM (la Loi sur la responsabilité en matière maritime). La Convention sur la limitation de la responsabilité est mise en application à la partie 3, tandis que la Convention de 1992 sur la responsabilité civile, la Convention de 1992 portant création du Fonds et la Convention sur les hydrocarbures de soute sont mises en application à la partie 6.

[33]           La partie 6 de la LRMM établit aussi, à la section 2, un filet de sécurité pour les navires qui ne sont pas assujettis à la Convention de 1992 sur la responsabilité civile ou à la Convention sur les hydrocarbures de soute.[3] Elle impose un régime de responsabilité semblable à ceux établis par les conventions internationales, qui s'applique à tous les navires qui ne sont pas visés par ces régimes.

[34]           Les différents régimes imposent la responsabilité aux propriétaires de navires de la même manière. La Convention sur la responsabilité civile prévoit ce qui suit au paragraphe III.1 :

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[35]           La Convention sur les hydrocarbures de soute prévoit ce qui suit au paragraphe 3(1) :

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[36]           La LRMM prévoit ce qui suit au paragraphe 77(1) :[4]

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[37]           En vertu des trois régimes de responsabilité, les propriétaires de navires sont tenus strictement responsables des incidents de pollution par les hydrocarbures causés par les navires, et seuls des moyens de défense restreints et prévus par la loi peuvent être opposés à cette responsabilité.

[38]           Alors que la partie 6 de la LRMM donne force de loi et est parallèle à la Convention de 1922 sur la responsabilité civile et à la Convention sur les hydrocarbures de soute, la partie 7 de la LRMM est parallèle à la Convention de 1922 portant création du Fonds et a mené à la création du successeur de la CRPM, à savoir la CIDPHN (Caisse d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires). La partie 7 prévoit deux principaux mécanismes selon lesquels les demandeurs peuvent obtenir une indemnisation de la CIDPHN au lieu d'être – ou en plus d'être – indemnisés par le propriétaire d'un navire.

[39]           Premièrement, le régime de « dernier recours », prévu à l'origine par la CRPM, est encore offert par la CIDPHN. Le régime de dernier recours stipule que, dans les cas où un demandeur intente une action en justice contre le propriétaire d'un navire ou son garant, l'administrateur devient partie à l'instance en vertu de l'article 109 de la LRMM. L'administrateur doit alors comparaître et prendre part à ce litige, en conformité avec la responsabilité incombant à la CIDPHN en vertu du paragraphe 101(1). Selon le paragraphe 101(1), la CIDPHN assume la responsabilité des incidents de pollution par les hydrocarbures causés par les navires de la même manière qu'un propriétaire de navire, si l'un ou l'autre des critères énoncés aux alinéas de cette disposition est rempli. Haico a invoqué l'alinéa 101(1)b), qui se lit comme suit :

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[…]

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[40]           L'article 109, qui a aussi été invoqué par Haico, s'applique aux actions intentées contre les propriétaires de navires et leurs garants :

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[41]           Par ailleurs, un demandeur peut présenter une demande d'indemnisation directement à l'administrateur en vertu du paragraphe 103(1), ce qu'on appelle parfois le mécanisme de demande d'indemnisation « de premier recours » :[5]

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[42]           À l'origine, la demande d'indemnisation de Haico a été comprise comme étant une tentative de discussions en vue de parvenir à un règlement, en prévision du dépôt d'une demande d'indemnisation fondée sur les articles 101 et 109, selon le processus de dernier recours. Elle est maintenant considérée comme une demande d'indemnisation présentée directement à l'administrateur en vertu du paragraphe 103(1).

L'application du paragraphe 103(1) ne dépend pas du paragraphe 101(1)

[43]           L'explication donnée par Haico à savoir pourquoi il a invoqué l'article 101 dans sa demande d'indemnisation, alors qu'il avait l'intention de la présenter en vertu du paragraphe 103(1), est qu'il croyait que les demandes faites en vertu du paragraphe 103(1) devaient satisfaire à l'un des critères énoncés à l'article 101. La question de savoir si le paragraphe 103(1) dépend du paragraphe 101(1) est importante pour clarifier l'application plus générale de la partie 7 de la LRMM et pour comprendre la position de Haico. Bien que l'explication donnée par Haico soit suffisante pour permettre de recatégoriser sa demande d'indemnisation rétroactivement, la suggestion selon laquelle l'application du paragraphe 103(1) dépend de l'article 101 est rejetée comme étant inexacte pour les raisons exposées ci-après.

[44]           Le paragraphe 103(1) de la LRMM offre expressément aux demandeurs un moyen d'obtenir une indemnisation « en plus des droits [que toute personne] peut exercer contre la Caisse d'indemnisation en vertu de l'article 101 » [soulignement ajouté]. À première vue, le paragraphe 103(1) semble être indépendant, distinct et complémentaire par rapport aux droits établis à l'article 101. Au-delà des mots « en plus de », il y a d'autres raisons qui montrent que le paragraphe 103(1) ne dépend pas de l'article 101.

[45]           Premièrement, les paragraphes 103(1) et 101(1) ont des structures parallèles, ce qui ne serait pas le cas si le paragraphe 103(1) était dépendant du paragraphe 101(1). Ces deux paragraphes font référence aux articles 51, 71 et 77 de la LRMM, à l'article III de la Convention de 1992 sur la responsabilité civile, et à l'article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute.[6] Si le paragraphe 103(1) était censé dépendre du paragraphe 101(1), il n'y aurait aucune raison de répéter ces références. La répétition des références dans chaque paragraphe montre que les deux dispositions sont indépendantes.

[46]           De plus, la version de la LRMM qui était en vigueur au moment de la présente décision comprend un exemple d'un nouveau régime de demande d'indemnisation qui dépend expressément de l'un des deux mécanismes préexistants. En 2018, le législateur a ajouté le processus d'indemnisation accéléré à la LRMM. Ce régime permet de présenter directement à l'administrateur certaines demandes d'indemnisation inférieures à 35 000 $ dans un délai d'un an suivant un incident; l'administrateur doit alors payer la demande d'indemnisation dans un délai de 60 jours avant de procéder à une enquête et à une évaluation complète de ces demandes d'indemnisation. Le nouveau régime est énoncé comme suit au paragraphe 106.1(1) :

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[47]           Le paragraphe 106.1(1) ne fait pas référence aux dispositions relatives à la responsabilité de la partie 6 de la LRMM et des conventions internationales, comme le font les paragraphes 103(1) et 101(1). Il renvoie plutôt au paragraphe 103(1). Par conséquent, pour qu'une demande d'indemnisation soit admissible en vertu du paragraphe 106.1(1), elle doit aussi être recevable en vertu du paragraphe 103(1), en plus de satisfaire aux critères du paragraphe 106.1(1).

[48]           Étant donné que le législateur a manifesté son intention de rendre un mécanisme de demande d'indemnisation dépendant d'un autre d'une telle façon, et qu'il l'a fait en employant un langage clair et direct, il n'est pas approprié de déduire qu'une disposition est dépendante d'une autre si cela n'est pas stipulé dans le texte de la loi. Pour cette raison, même s'il y a une certaine ambiguïté à propos de l'indépendance du paragraphe 103(1), l'interprétation proposée par Haico doit être rejetée.

[49]           À part le langage non ambigu employé dans la partie 7 de la LRMM, l'interprétation proposée par Haico est problématique à d'autres égards.

[50]           Si un demandeur était tenu de satisfaire à l'un des critères énoncés au paragraphe 101(1) pour pouvoir faire une demande d'indemnisation en vertu du paragraphe 103(1), une telle exigence limiterait grandement les circonstances dans lesquelles les personnes touchées par la pollution par les hydrocarbures pourraient se prévaloir du régime prévu au paragraphe 103(1), ce qui limiterait l'accès à la justice.

[51]           En guise d'explication de la question de l'accès à la justice, l'article 101 rend la CIDPHN responsable de la même manière qu'un propriétaire de navire (ce qui est pertinent lorsqu'une action est intentée et que l'article 109 entre en jeu), mais seulement si certains critères sont remplis. Ces critères sont les suivants :

a.       toutes les mesures raisonnables ont été prises pour obtenir une indemnisation de la part du propriétaire du navire;

b.      le propriétaire du navire n'est pas responsable parce qu'il a établi un moyen de défense;

c.       la demande d'indemnisation excède la limite de responsabilité du propriétaire du navire;

d.      la demande d'indemnisation excède la capacité du propriétaire du navire de payer; ou

e.       l'identité du navire polluant est inconnue.

[52]           Tous les critères ci-haut imposent un certain fardeau aux demandeurs, ce qui limite inévitablement l'accès à la justice. Pour ce qui est des critères (a) à (c), il faudrait sans doute intenter une action en justice pour démontrer que le critère est rempli. Quant aux critères (d) et (e), il faudrait mener une enquête, ce qui serait difficile et coûteux.

[53]           Le fait d'avoir à intenter une action en justice avant de pouvoir faire une demande d'indemnisation à l'administrateur est particulièrement problématique, étant donné que les demandes d'indemnisation en vertu du paragraphe 103(1) sont assujetties à un délai de prescription plus court (deux à cinq ans) que les demandes d'indemnisation présentées au propriétaire d'un navire (trois à six ans). Selon l'interprétation proposée par Haico voulant que les articles 101 et 103 soient interdépendants, un demandeur qui veut faire une demande d'indemnisation en vertu du paragraphe 103(1) pourrait ne pas pouvoir intenter et régler une action en justice à temps pour présenter une telle demande à l'administrateur avant l'expiration du plus court délai de prescription.

[54]           Sur ce même point, s'il fallait intenter une action en justice avant de pouvoir faire une demande d'indemnisation à l'administrateur en vertu du paragraphe 103(1), un grand nombre de ces demandes d'indemnisation ne seraient jamais présentées. Lorsqu'un demandeur intente une action contre le propriétaire d'un navire polluant, l'administrateur devient partie à l'instance en vertu de l'article 109, ce qui donne au demandeur la possibilité d'obtenir une indemnisation de la CIDPHN en vertu du paragraphe 101(1). L'utilité de permettre par la suite de présenter une deuxième demande d'indemnisation directement à l'administrateur à propos de la même affaire n'est pas évidente. Cela affaiblirait grandement l'objet du paragraphe 103(1), ce qui milite également contre l'interprétation proposée par Haico.

[55]           En résumé, l'interprétation proposée par Haico selon laquelle les paragraphes 101(1) et 103(1) sont interdépendants est rejetée, tant en raison du libellé de ces dispositions que de l'objet et du rôle des parties 6 et 7 de la LRMM dans leur ensemble.

 

LES DROITS EN VERTU DU PARAGRAPHE 103(1) DOIVENT DÉCOULER DE LA PARTIE 6 DE LA LRMM

[56]           Le paragraphe 103(1) permet de faire une demande d'indemnisation lorsqu'une personne touchée par un déversement a subi des pertes ou des dommages ou a engagé des frais, comme le décrivent certaines dispositions de la partie 6 de la LRMM, de la Convention de 1992 sur la responsabilité civile ou de la Convention sur les hydrocarbures de soute. Dans tous les cas, les dispositions auxquelles renvoie le paragraphe 103(1) sont centrées sur la responsabilité d'un propriétaire de navire. Il est donc difficile, d'un point de vue conceptuel, de comprendre comment un propriétaire de navire pourrait avoir le droit de faire une demande d'indemnisation en vertu du paragraphe 103(1).

[57]           Apparemment en réponse à cette difficulté, Haico soutient que [traduction] « Il ne faut pas confondre la responsabilité du propriétaire de navire en vertu de l'art. 77 avec les « frais » dont il est question à l'article 77. Ce sont deux choses séparées. » Cette interprétation proposée est problématique.

[58]           Premièrement, il faut déterminer au préalable si l'article 77 de la LRMM s'applique ou non au navire. Lorsqu'il était en service, le navire (un chaland sur lequel est construite une structure de logement pour la chasse ou la pêche) était déployé sur l'océan, après avoir été remorqué sur l'océan et mis en place. Au moment où l'incident s'est produit, le navire était amarré dans une baie, sur l'océan, et sur le point d'être remorqué. Cela semble indiquer que le navire était un bâtiment de mer et/ou un engin marin. Il est aussi entendu que le navire utilisait une partie des hydrocarbures qui ont été rejetés, ou qui risquaient d'être rejetés, pour ses opérations, c'est-à-dire la production d'électricité pour les espaces de logement et le ravitaillement en carburant de petites embarcations. Compte tenu de tous ces faits, il semble que la Convention sur les hydrocarbures de soute pourrait s'appliquer au navire. Si la Convention sur les hydrocarbures de soute s'applique, alors l'article 77 ne s'applique pas. Il n'est donc pas acquis que les dispositions invoquées par l'avocat de Haico s'appliquent au navire.

[59]           Deuxièmement, quel que soit le régime de responsabilité qui s'applique au navire, la suggestion selon laquelle le texte du paragraphe 103(1) – « toute personne qui a subi des pertes ou des dommages ou qui a engagé des frais » – devrait être considéré isolément de la responsabilité du propriétaire de navire est une fausse interprétation qui va probablement à l'encontre des principes d'interprétation des lois.

[60]           En réponse à la position de Haico concernant la présentation de demandes d'indemnisation par les propriétaires de navires en vertu du paragraphe 103(1), nous allons d'abord examiner les demandes d'indemnisation présentées par la voie de la Convention sur les hydrocarbures de soute, et faire ensuite une analyse semblable de l'article 77 de la LRMM. Étant donné la conclusion définitive selon laquelle les propriétaires de navires ne peuvent pas faire une demande d'indemnisation à l'administrateur en vertu de l'un ou l'autre régime, il n'est pas nécessaire de résoudre la question de savoir quel régime s'applique au navire.

L'analyse des pertes ou dommages et des frais « visés à » la Convention sur les hydrocarbures de soute

[61]           L'article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute se lit comme suit :

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[62]           L'article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute ne fait pas mention de pertes, de dommages (simpliciter) ou de frais. Cependant, la définition de « dommage par pollution », au paragraphe 1(9) de cette convention, comprend le coût des mesures de sauvegarde. Cette définition comprend aussi la plupart des types de pertes, de dommages et de frais que pourraient subir les personnes touchées par un incident de pollution par les hydrocarbures visé à l'article 3.

[63]           L'argument de Haico, dans la mesure où la Convention sur les hydrocarbures de soute s'applique au navire et à l'incident, ne peut être accepté. L'article 3 ne peut être interprété de la manière dont l'argument de Haico l'exige. Il est arbitraire de séparer « le propriétaire du navire au moment d'un événement » de « dommage par pollution », tel que ces expressions sont employées au paragraphe 3(1). Pourquoi cette portion du paragraphe serait-elle retranchée, alors que la deuxième partie de la même phrase, « causé par des hydrocarbures de soute se trouvant à bord ou provenant du navire [...] », serait laissée en place? Il n'y a aucune raison évidente. Par ailleurs, si les deux portions sont retranchées (c.-à-d. si « dommage » ou « dommage par pollution » est lu isolément), alors l'expression « dommage par pollution » est sans contexte, et il n'y a aucune raison apparente pour que le paragraphe 103(1) renvoie à l'article 3 au lieu d'employer simplement ce mot – ou de renvoyer directement à la partie « Définitions » de la Convention sur les hydrocarbures de soute.

[64]           Il n'est donc pas accepté que le législateur, par le renvoi à l'article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute dans le paragraphe 103(1), ait voulu que les pertes, les dommages et les frais puissent être dissociés de la responsabilité d'un propriétaire de navire. Par ailleurs, étant donné qu'un propriétaire de navire ne peut être tenu responsable envers lui-même, et qu'il ne peut donc pas engager les frais mentionnés à l'article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute, l'article 3 ne permet pas à un propriétaire de navire de présenter une demande d'indemnisation à l'administrateur en vertu du paragraphe 103(1).

[65]           Il est à noter que l'article 71 de la LRMM comprend des dispositions supplémentaires qui ajoutent une responsabilité à celle établie par la Convention sur les hydrocarbures de soute, et que le paragraphe 103(1) renvoie aussi à l'article 71 de la LRMM. L'article 71 est très semblable au paragraphe 77(1), qui est examiné en détail ci-après, et il n'est donc pas nécessaire de l'analyser séparément.

L'analyse des pertes ou dommages et des frais « visés à » l'article 77 de la LRMM

[66]           L'article 77 de la LRMM se lit comme suit :

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[67]           L'article 77 est une disposition substantielle. Il comprend six paragraphes, dont seulement deux font mention directe des « frais ». La première mention directe se trouve dans la principale disposition relative à la responsabilité, soit le paragraphe 77(1), où le terme « frais » est employé à plusieurs reprises. La deuxième mention directe se trouve au paragraphe 77(5), qui traite du classement des frais d'intervention engagés volontairement par un propriétaire contre toute garantie donnée par ce propriétaire.[7] Enfin, le terme « frais » est aussi employé au paragraphe 77(2), qui rend le propriétaire de navire responsable des frais des mesures de remise en état de l'environnement.

[68]           Les mentions explicites des frais à l'article 77, lorsqu'elles sont lues dans leur contexte global, et en tenant compte de toutes les caractéristiques de ces frais, sont généralement inutiles à un propriétaire de navire qui voudrait présenter une demande d'indemnisation à l'administrateur en vertu du paragraphe 103(1). Pour que les paragraphes 77(1), (2) et (5) soient utiles à un propriétaire de navire dans ce contexte, il faudrait en faire une lecture sélective arbitraire.

[69]           Pour que le paragraphe 77(1) puisse être interprété d'une manière utile à Haico, il faudrait omettre les mots « Le propriétaire d'un navire est responsable », et plutôt se concentrer seulement sur les types de dommages énoncés aux alinéas (a) à (c) – les dommages résultant d'un rejet d'hydrocarbures par un navire ou de la menace d'un tel rejet.

[70]           Comme dans le cas de l'analyse d'un terme semblable dans le contexte de la Convention sur les hydrocarbures de soute, l'intention devait être que les mots « pertes, dommages et frais » soient interprétés dans le contexte de l'article 77. Si on admet que l'intention devait être de qualifier la portée de ces mots, il reste à déterminer quels qualificatifs devraient y être apportés. Sur ce point, il semble n'y avoir aucune raison de considérer que les mots « Le propriétaire d'un navire est responsable » ne sont pas des qualificatifs, pas plus que les mots « par un navire ».

[71]           Bien qu'un propriétaire de navire puisse subir des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures et engager des frais d'intervention à la suite d'un incident causé par son propre navire, un propriétaire ne peut pas subir les pertes, les dommages et les frais visés aux alinéas 77(1)a) à c), parce que ce sont des dommages dont le propriétaire serait présumément responsable,[8] et aucune entité ne peut être tenue responsable envers elle-même.

[72]           En résumé, le paragraphe 77(1), à lui seul, ne peut en aucune circonstance être interprété raisonnablement comme faisant référence aux frais d'un propriétaire, et il en va de même pour les « frais » visés au paragraphe 77(2). Il n'y a aucune raison d'y donner une interprétation très différente, puisqu'un moyen de défense valable peut être opposé à la responsabilité imposée à l'article 77.

[73]           L'article 77 comprend un autre paragraphe qui doit être examiné. Le paragraphe 77(5) est notable en ce sens qu'il mentionne explicitement les frais engagés par un propriétaire. Le paragraphe 77(5) s'applique généralement lorsqu'un propriétaire de navire responsable a constitué un fonds de limitation, et seulement dans la mesure où les frais du propriétaire sont raisonnables et ont été engagés volontairement.[9] Le propriétaire du navire responsable est ensuite autorisé à faire une demande d'indemnisation contre son propre fonds de limitation, et sa demande d'indemnisation est du même rang que celles des autres demandeurs. Si le fonds de limitation est insuffisant pour payer toutes les demandes d'indemnisation, celles-ci sont payées proportionnellement. Encore une fois, la principale question est de savoir dans quelle mesure les « frais » doivent être interprétés en contexte.

[74]           Pour montrer comment le paragraphe 77(5) interagit avec le paragraphe 103(1), il est utile de faire quelques observations sur la manière dont le paragraphe 77(5) s'applique dans la pratique pour fournir une mise en contexte. Le paragraphe 77(5) permet à un propriétaire qui a constitué un fonds de limitation de déduire une partie de ses propres frais d'intervention de sa responsabilité maximale envers les autres. Le paragraphe 77(5), du moins à lui seul, ne donne aucunement le droit à un propriétaire d'obtenir une indemnisation des autres parties.

[75]           Il y a des variations dans ce que le paragraphe 77(5) fait pour les propriétaires de navires, même ceux qui ont constitué un fonds de limitation (ce que Haico n'a pas fait). Au mieux, lorsque l'ensemble des demandes d'indemnisation (y compris celle du propriétaire de navire) excède le fonds de limitation, les demandeurs reçoivent une part proportionnelle de leurs demandes d'indemnisation respectives; les frais du propriétaire sont inclus, ce qui réduit le montant versé aux autres. Cela signifie quand même qu'un propriétaire doit payer de sa poche un montant supérieur à sa responsabilité maximale. Dans les cas où le total des demandes d'indemnisation n'excède pas le fonds de limitation, le paragraphe 77(5) n'offre aucun avantage au propriétaire de navire. La portion inutilisée du fonds de limitation est rendue au propriétaire, indépendamment d'une quelconque demande d'indemnisation qu'il ait pu faire contre ce fonds.

[76]           Il n'est pas tout à fait clair comment le paragraphe 77(5), qui est au mieux un mécanisme de défense permettant aux propriétaires de limiter leurs frais, mais qui ne s'applique pas en l'espèce, devrait interagir avec le paragraphe 103(1). On peut dire qu'il y a une ambiguïté, et il faut donc interpréter la loi pour déterminer si le paragraphe 77(5) permet aux propriétaires de navires de faire une demande d'indemnisation à l'administrateur.

L'APPLICATION DES PRINCIPES D'INTERPRÉTATION DES LOIS

Les principes d'interprétation des lois et la nécessité de les appliquer

[77]           En général, les propriétaires de navires semblent ne pas pouvoir réclamer des frais admissibles en vertu des dispositions énoncées au paragraphe 103(1), en raison du fait que les pertes, les dommages et les frais indemnisables sont ceux dont un propriétaire est responsable, du moins à première vue. Une entité ne peut être tenue responsable envers elle-même, et les propriétaires de navires n'ont donc généralement pas le droit de faire une demande d'indemnisation. Cependant, il y a une certaine ambiguïté à cause de l'interaction imprécise entre le paragraphe 103(1) et le paragraphe 77(5).

[78]           Dans la mesure où le texte de la LRMM ne répond pas clairement à la question de savoir si le propriétaire d'un navire polluant pourrait avoir le droit d'obtenir une indemnisation de la CIDPHN en vertu du paragraphe 103(1), il est nécessaire d'appliquer les principes d'interprétation des lois.

[79]           L'interprétation des lois a pour but de déterminer le sens des mots dans une loi. Pour ce faire, il faut comprendre l'intention du législateur. Pour en arriver à cette compréhension, la Cour suprême du Canada souscrit depuis longtemps à l'approche proposée par Elmer Driedger, à savoir que « il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'économie de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur. »[10]

[80]           Le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes. On peut qualifier d'absurdes les interprétations « qui vont à l'encontre de la fin d'une loi ou en rendent un aspect inutile ou futile. »[11]

[81]           Il est également utile de faire référence à l'article 12 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21 (la « LI »), qui stipule que « Tout[e] [loi ou partie d'une loi] est censé[e] apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet. »

[82]           Il ne suffit donc pas de comprendre le sens ordinaire des mots employés. Il faut tenir compte du but et de l'intention du législateur lorsqu'il a adopté la LRMM, et il faut reconnaître le contexte global dans lequel les mots en question sont employés.

[83]           Il est important d'examiner l'interprétation globale de la LRMM, y compris l'interaction entre ses dispositions relatives à la responsabilité, aux parties 6 et 7. Selon les principes d'interprétation des lois, les deux parties devraient s'appliquer de manière harmonieuse, sans que l'une fasse obstacle à l'objet ou à l'application de l'autre. Par ailleurs, il est utile d'examiner le contexte législatif dans lequel les demandes d'indemnisation en vertu du paragraphe 103(1) sont traitées.

Les demandes d'indemnisation en vertu du paragraphe 103(1) ainsi que le règlement et le paiement de ces demandes d'indemnisation

[84]           Les articles 103 et 104 de la LRMM traitent tous deux des critères d'admissibilité des demandes d'indemnisation en vertu du paragraphe 103(1) :

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[85]           L'article 105 porte sur le traitement des demandes d'indemnisation en vertu du paragraphe 103(1), et il énonce les obligations, les pouvoirs et les contraintes décisionnels de l'administrateur durant ce processus :

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[86]           Étant donné que Haico affirme être un propriétaire de navire « innocent », et qu'il est approprié de permettre à un propriétaire de navire innocent de faire une demande d'indemnisation en vertu du paragraphe 103(1), il est important d'examiner les limites que le paragraphe 105(3) impose à l'administrateur sur ce qu'il peut prendre en considération dans le cadre de l'enquête et de l'évaluation d'une demande d'indemnisation en vertu du paragraphe 103(1).

Si Haico a raison, ce ne sont pas seulement les propriétaires de navires « innocents » qui auraient le droit d'obtenir une indemnisation de la CIDPHN

[87]           Bien que l'administrateur soit d'avis qu'un propriétaire de navire ne peut en aucun cas faire une demande d'indemnisation en vertu du paragraphe 103(1), pour les raisons exposées ci-haut, il y a une autre raison de douter que la LRMM permette de présenter de telles demandes à l'administrateur. Cette autre raison découle des limites explicites sur ce que l'administrateur peut prendre en considération dans le cadre de l'enquête et de l'évaluation d'une demande d'indemnisation.

[88]           Les facteurs que l'administrateur peut prendre en considération dans le cadre de l'enquête et de l'évaluation d'une demande d'indemnisation en vertu du paragraphe 103(1) sont limités par le paragraphe 105(3) :

[…] l'administrateur ne prend en considération que la question de savoir :

a) d'une part, si la [demande d'indemnisation] est visée par le paragraphe 103(1) ou (1.1), selon le cas;

b) d'autre part, si la [demande d'indemnisation] résulte, en tout ou en partie :

(i) soit d'une action ou omission du demandeur visant à causer un dommage,

(ii) soit de sa négligence.

[89]           Si on ajoute à cela la conclusion antérieure selon laquelle le paragraphe 103(1) ne dépend pas du paragraphe 101(1), l'interprétation proposée par Haico devient très problématique : l'administrateur ne peut pas prendre en considération la question de savoir si un propriétaire de navire peut faire valoir un moyen de défense contre la responsabilité (c.-à-d. s'il est « innocent » ou non).

[90]           Si un propriétaire de navire au Canada avait le droit de faire une demande d'indemnisation en vertu du paragraphe 103(1), les seuls moyens par lesquels l'administrateur pourrait réduire l'indemnisation qui lui est payable seraient de conclure que :

         les mesures d'intervention prises par le propriétaire en réponse à la pollution par les hydrocarbures n'étaient pas raisonnables;

         les frais des mesures prises par le propriétaire n'étaient pas raisonnables;

         le propriétaire a agi ou omis d'agir avec l'intention de causer un dommage; ou

         la négligence du propriétaire a causé l'incident, en tout ou en partie.

[91]           Les facteurs susmentionnés, y compris le pouvoir de l'administrateur de conclure qu'un propriétaire de navire ayant fait une demande d'indemnisation avait l'intention de causer des dommage ou a fait preuve de négligence, et de réduire en conséquence l'indemnisation qui lui est payable, ne corrigent pas le manque d'harmonie. En vertu de la partie 6 de la LRMM, les propriétaires de navires polluants sont tenus strictement responsables, sans égard à la faute ou à la négligence du propriétaire. L'interprétation proposée par Haico concernant la façon dont la partie 7 de la LRMM est censée fonctionner ne cadre pas du tout avec cet aspect fondamental de la partie 6. D'une part, l'interprétation proposée rendrait les propriétaires de navires non négligents strictement responsables des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, tandis que, d'autre part, elle permettrait à ces mêmes propriétaires de navires de réclamer un remboursement à même les fonds publics. En plus de porter gravement atteinte au principal objet de la partie 6 de la LRMM, cela entraînerait une litanie de conséquences fâcheuses.

[92]           En vertu de l'article 167 de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, L.C. 2001, ch. 26, les gros navires qui font escale dans les ports canadiens sont tenus de conclure une entente permanente d'intervention en cas de pollution par les hydrocarbures avec un organisme d'intervention agréé par Transports Canada.[12] Cela signifie que les propriétaires de tels navires engageraient très probablement des frais d'intervention à la suite d'un incident, lesquels frais sont généralement couverts par une assurance.[13] Dans bien des cas, les propriétaires de navires pourraient ensuite présenter à l'administrateur une demande d'indemnisation pour des frais qui doivent être couverts par une assurance.

[93]           De même, le traitement des organismes d'intervention en vertu de la partie 7 de la LRMM est aussi incompatible avec l'interprétation voulant que les propriétaires de navires puissent faire une demande d'indemnisation en vertu du paragraphe 103(1). Le paragraphe 103(3) interdit aux organismes d'intervention de faire une demande d'indemnisation en vertu du paragraphe 103(1). Lorsqu'ils exercent leurs activités, les organismes d'intervention engagent des frais pour la prise de mesures en réponse à des incidents de pollution par les hydrocarbures causés par les navires. Ces frais sont explicitement mentionnés à l'article 77, ce qui veut dire qu'en l'absence de l'interdiction expresse, les organismes d'intervention pourraient faire une demande d'indemnisation en vertu du paragraphe 103(1). Cela ne pose pas de problème en soi. Cependant, si on ajoute à cela l'interprétation proposée par Haico voulant que les propriétaires aient le droit de faire une demande d'indemnisation à l'administrateur en vertu des paragraphes 77(5) et 103(1), cela voudrait dire que presque n'importe quel propriétaire de navire qui paye les frais d'un organisme d'intervention pourrait en réclamer le remboursement en vertu du paragraphe 103(1), tandis que l'organisme d'intervention lui-même ne le pourrait pas. Il va à l'encontre de l'objet et des buts de la LRMM de faire passer les intérêts du propriétaire d'un navire polluant (même s'il est innocent) avant ceux d'un organisme d'intervention. Tant et si bien que cela milite fortement en faveur d'une conclusion selon laquelle les propriétaires de navires ne sont pas mentionnés au paragraphe 103(3) non pas parce que le législateur voulait qu'ils puissent faire une demande d'indemnisation à l'administrateur, mais plutôt parce qu'il ne considérait pas qu'ils pouvaient engager les frais admissibles en premier lieu.

[94]           Comme il a été expliqué, le paragraphe 77(5) de la LRMM permet aux propriétaires de navires qui ont donné une garantie de déduire leurs frais admissibles de ceux des autres demandeurs, lorsque la limite de la garantie donnée par un propriétaire a été atteinte (c.-à-d. en fait la limite de responsabilité obligatoire du navire). Si les propriétaires de navires pouvaient faire une demande d'indemnisation en vertu du paragraphe 103(1), les propriétaires de navires et leurs assureurs disposeraient alors d'une bien meilleure option qui leur permettrait de recouvrer leurs propres frais entièrement auprès de la CIDPHN, sous réserve seulement des critères énumérés dans la liste ci-haut. Le législateur ne peut avoir eu l'intention d'éclipser le paragraphe 77(5) de cette façon lorsqu'il a mis en application le paragraphe 103(1), surtout du fait que le paragraphe 77(5) semble être la seule disposition qui donne aux propriétaires de navires la possibilité de faire une demande d'indemnisation en vertu du paragraphe 103(1).

[95]           Une autre conséquence encore plus incongrue se dégage si on prend l'exemple d'un incident hypothétique de pollution par les hydrocarbures en réponse auquel le propriétaire de navire interviendrait, après quoi ce dernier indemniserait pleinement les autres parties touchées. Dans de telles circonstances – en supposant que l'interprétation voulant que les propriétaires de navires puissent faire une demande d'indemnisation soit admise – il semble que rien n'empêcherait ce propriétaire de navire (ou son assureur en responsabilité de dommages dus à la pollution par les hydrocarbures) d'accepter de payer les demandes d'indemnisation et de se faire céder les droits des parties indemnisées, et de présenter ensuite une demande d'indemnisation à l'administrateur en vertu du paragraphe 103(1) pour la totalité de ses propres frais d'intervention et le montant total des créances qui lui ont été cédées (c.-à-d. les demandes d'indemnisation dont il était responsable en vertu de la partie 6 de la LRMM). Dans la mesure où les parties 3 et 6 de la LRMM ont pour objet de faire payer les propriétaires de navires jusqu'à la limite de leur responsabilité, sans égard à la négligence, cet objet ne pourrait être réalisé dans les cas où il n'y a pas eu de négligence.

[96]           En conséquence, le fait de permettre aux propriétaires de navires de présenter une demande d'indemnisation irait à l'encontre du principe du pollueur-payeur sur lequel reposent la partie 6 de la LRMM et les conventions internationales, ce qui aurait pour effet de transférer une grande partie du fardeau de la responsabilité des propriétaires de navires et de leurs assureurs aux fonds publics de la CIDPHN. Il est peu probable que cela ait été l'intention du législateur,[14] surtout quand on considère que les droits dans lesquels l'administrateur est subrogé après avoir payé une demande d'indemnisation ne pourraient remédier aux situations où un propriétaire de navire responsable pourrait être indemnisé par la CIDPHN. Les droits subrogés en vertu du paragraphe 106(3) reflètent les droits initiaux du demandeur, et aucun demandeur ne peut détenir des droits envers lui-même.

Comparaison entre la CIDPHN et les Fonds internationaux d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures

[97]           Au-delà de la partie 6 de la LRMM, une comparaison instructive mais intrinsèquement limitée peut être faite entre la CIDPHN et les Fonds internationaux d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (les « Fonds internationaux »),[15] qui sont habilités en vertu de la Convention de 1992 portant création du Fonds à verser des indemnités dans certaines circonstances à la suite d'un incident causé par un pétrolier.

[98]           Le paragraphe 4(1) de la Convention de 1992 portant création du Fonds, qui énonce les circonstances dans lesquelles les Fonds internationaux peuvent verser des indemnités,[16] se lit comme suit :

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[99]           La Convention de 1992 portant création du Fonds stipule explicitement que les frais raisonnables engagés volontairement par le propriétaire d'un pétrolier sont indemnisables par les Fonds internationaux, dans la mesure où le propriétaire n'est pas responsable en vertu de la Convention de 1992 sur la responsabilité civile, ce qui veut dire qu'un moyen de défense contre la responsabilité en vertu de cette Convention aurait été établi.[17]

[100]       Bien que, généralement parlant, la relation entre la partie 7 et la partie 6 de la LRMM soit analogue à la relation entre la Convention de 1992 portant création du Fonds et la Convention de 1992 sur la responsabilité civile, il est important de se rappeler que l'administrateur n'a pas le pouvoir de prendre en considération la question de savoir si un propriétaire de navire peut faire valoir un moyen de défense contre la responsabilité dans le cadre de l'évaluation et de l'enquête d'une demande d'indemnisation présentée en vertu du paragraphe 103(1), indépendamment du régime de responsabilité sur lequel une telle demande d'indemnisation est fondée. Par contraste, les Fonds internationaux stipulent expressément que l'« innocence » d'un propriétaire de navire peut être prise en considération, aux termes de l'alinéa 4(1)a) de la Convention de 1992 portant création du Fonds.

[101]       L'omission d'un mécanisme permettant à l'administrateur de déterminer l'« innocence » d'un propriétaire de navire pose le même problème que celui qui a été examiné à fond dans la section précédente de la présente lettre : si les propriétaires ayant le droit de faire valoir un moyen de défense sont autorisés à obtenir une indemnisation de la CIDPHN en vertu du paragraphe 103(1), alors les propriétaires responsables doivent aussi être autorisés à obtenir une indemnisation, dans la mesure où ils n'ont pas été négligents et n'ont pas eu l'intention de causer des dommages. Cela irait beaucoup plus loin que la Convention de 1992 portant création du Fonds et, comme il a été souligné précédemment, cela porterait gravement atteinte à l'objet législatif manifeste de la partie 6 de la LRMM et des conventions.

[102]       Enfin, il convient de noter que les propriétaires peuvent demander à obtenir une indemnisation en vertu de la Convention de 1992 portant création du Fonds, grâce à une clause qui permet explicitement de faire de telles demandes d'indemnisation,[18] ce qui semble indiquer qu'un tel droit n'est pas implicite dans la Convention de 1992 sur la responsabilité civile. Il y a donc lieu de douter qu'un tel droit soit implicite dans l'article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute, dont le libellé est très semblable à celui de sa disposition analogue de la Convention de 1992 sur la responsabilité civile, ou dans l'article 77 de la LRMM.

[103]       Par conséquent, il faut conclure que la partie 7 de la LRMM n'est pas tout à fait analogue à la Convention de 1992 portant création du Fonds, surtout en ce qui concerne les demandes d'indemnisation faites par les propriétaires de navires. Nonobstant tout argument de politique générale, la structure mécanique nécessaire pour répondre à une demande d'indemnisation faite par un propriétaire de navire innocent ne se trouve pas dans la partie 7 de la LRMM.

La possibilité de conséquences disparates selon le genre de navire en cause

[104]       En dernier lieu, il convient de noter le principe général d'organisation selon lequel ceux qui font une demande d'indemnisation en vertu du paragraphe 103(1) doivent s'attendre au même résultat, peu importe le régime de responsabilité sur lequel ils se fondent pour établir un droit à obtenir une indemnisation de l'administrateur. Ce principe découle de la structure du paragraphe 103(1), qui renvoie aux dispositions relatives à la responsabilité des trois régimes de responsabilité mis en application par la LRMM, pour ce qui est d'établir le droit de faire une demande d'indemnisation à l'administrateur. Le fait de permettre aux propriétaires de navires de faire une demande d'indemnisation, comme il est décrit dans la présente décision, entraînerait des conséquences différentes selon le régime de responsabilité qui serait invoqué.

[105]       Cette interprétation potentielle du paragraphe 103(1) permettrait aux propriétaires de navires réclamants qui se fondent sur l'article 77 d'obtenir une indemnisation de la CIDPHN, tandis que les demandes d'indemnisation comparables venant de propriétaires qui se trouvent dans une situation comparable et dont les navires sont visés par les articles 51 et 71 de la LRMM et par l'article III de la Convention de 1992 sur la responsabilité civile ou l'article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute seraient inadmissibles. Cela s'explique par le fait que, dans la mesure où le paragraphe 77(5) pourrait permettre aux propriétaires de navires de faire une demande d'indemnisation, l'article 76 stipule que l'article 77 ne s'applique pas aux dommages dus à la pollution qui sont couverts par la partie 6, section 1 (c.-à-d. les articles 51 et 71 de la LRMM, l'article III de la Convention de 1992 sur la responsabilité civile et l'article 3 de la Convention sur les hydrocarbures de soute). Le paragraphe V.8 de la Convention de 1992 sur la responsabilité civile (et probablement l'article 51) contient une disposition analogue au paragraphe 77(5)[19], qui permet aux propriétaires d'être indemnisés à même leur propre fonds de limitation pour les frais raisonnables qu'ils ont engagés volontairement en réponse à un incident. Malgré cela, puisque le paragraphe 103(1) ne renvoie pas au paragraphe V.8 de la Convention de 1992 sur la responsabilité civile, il ne peut servir de fondement à l'indemnisation des propriétaires de navires par la CIDPHN. Les propriétaires de navires régis par la partie 6, section 2 finiraient donc par être traités de manière très différente par rapport aux propriétaires de navires régis par la partie 6, section 1, pour ce qui est des droits d'obtenir une indemnisation de la CIDPHN en vertu de la partie 7.

[106]       Si on ajoute à cela l'absence d'une disposition permettant à l'administrateur de prendre en considération l'« innocence » d'un propriétaire de navire (c.-à-d. si un propriétaire de navire peut établir l'un ou l'autre des moyens de défense limités et restreints), le fait de conclure que le paragraphe 77(5) permet aux propriétaires de navires de faire une demande d'indemnisation entraînerait des conséquences apparemment arbitraires. Les propriétaires de navires non négligents qui sont manifestement responsables en vertu de la partie 6, section 2 auraient le droit de faire une demande d'indemnisation à l'administrateur pour les frais qu'ils ont engagés, et peut-être aussi d'être indemnisés à même les fonds publics de la CIPDHN pour les paiements qu'ils ont versés aux parties touchées, alors que même les propriétaires innocents dont les navires sont assujettis à la Convention de 1992 sur la responsabilité civile ou à la Convention sur les hydrocarbures de soute seraient inadmissibles. Le libellé explicite de la LRMM n'étaye pas un tel traitement différent.

[107]       Le fait de permettre à certains propriétaires de navires, mais pas à d'autres, de faire une demande d'indemnisation serait d'autant plus surprenant lorsqu'on considère quel genre de navire serait exclu. Les propriétaires de navires régis par la Convention de 1992 sur la responsabilité civile (c.-à-d. les pétroliers qui transportent des hydrocarbures persistants) ne pourraient pas faire une demande d'indemnisation, car ils ne peuvent pas se prévaloir du paragraphe 77(5). Le solde de la CIDPHN provient des contributions versées pour le transport d'hydrocarbures persistants par des pétroliers durant les années 1970, et des intérêts courus sur ces contributions. S'il était permis à une catégorie de propriétaires de navires d'obtenir une indemnisation de la CIDPHN, ce devrait être ceux qui sont assujettis à la Convention de 1992 sur la responsabilité civile. Au lieu de cela, si on permettait aux propriétaires de navires de faire une demande d'indemnisation, ceux qui sont assujettis à la Convention de 1992 sur la responsabilité civile seraient exclus.

[108]       Il n'est pas accepté que le législateur ait voulu des résultats aussi disparates parmi ceux qui font une demande d'indemnisation en vertu du paragraphe 103(1). Il est considéré plus probable que son intention était de ne permettre à aucun propriétaire de navire de faire une demande d'indemnisation à l'administrateur pour les frais d'intervention engagés en réponse à un incident impliquant seulement son propre navire.

CONCLUSION

[109]       Haico soutient qu'il n'est pas responsable de l'incident et qu'il a donc le droit, en vertu de la LRMM, de présenter à l'administrateur une demande d'indemnisation pour les frais qu'il a engagés.

[110]       L'interprétation de la LRMM donnée par Haico est problématique d'un point de vue conceptuel. La partie 6 et les conventions internationales auxquelles elle donne force de loi rendent les propriétaires de navires responsables d'indemniser les personnes touchées par les incidents de pollution par les hydrocarbures causés par leurs navires. La partie 7 prévoit un régime pour s'assurer que les personnes touchées soient indemnisées – à même les fonds publics – sans toutefois dégager les propriétaires de navires de leur responsabilité fondamentale. Même si on accepte que Haico puisse établir un moyen de défense contre sa responsabilité absolue à l'égard de l'incident, il serait paradoxal que la partie 7 donne implicitement aux propriétaires de navires le droit d'obtenir une indemnisation de la CIPDHN.

[111]       À l'appui de la revendication de son droit d'obtenir une indemnisation de la CIDPHN, Haico invoque le paragraphe 103(1) de la LRMM, qui permet de faire des demandes d'indemnisation selon plusieurs dispositions relevant de trois régimes de responsabilité distincts. Malgré les observations de Haico sur ce point, il est conclu qu'aucune lecture non arbitraire de ces dispositions ne permet à un propriétaire de navire de faire une demande d'indemnisation. En bref, les dispositions qui établissent la responsabilité d'un propriétaire de navire n'établissent pas également, en l'espèce, le droit d'un propriétaire de navire de faire une demande d'indemnisation, même dans les cas où un propriétaire de navire puisse faire valoir un moyen de défense contre la responsabilité.

[112]       On pourrait soutenir que l'interaction entre les paragraphes 77(5) et 103(1) n'est pas claire. Toutefois, étant donné que le paragraphe 77(5) ne se rapporte qu'à la demande d'indemnisation d'un propriétaire contre son propre fonds de limitation, il n'est pas considéré qu'il donne également aux propriétaires de navires le droit d'obtenir une indemnisation de la CIDPHN. Dans bien des cas, y compris celui-ci, aucun fonds de limitation n'est établi, et il semble improbable qu'un propriétaire puisse s'attribuer le droit de faire une demande d'indemnisation en constituant un fonds de limitation contre lequel d'autres peuvent demander à être indemnisés. Tout cela étant dit, on pourrait soutenir que l'interaction entre les paragraphes 77(5) et 103(1) est ambiguë.

[113]        Si on applique les principes d'interprétation des lois, l'interprétation proposée par Haico pose une multitude de problèmes, notamment celui d'amoindrir considérablement l'objet de la partie 6, section 2 de la LRMM. Cela est particulièrement problématique en raison du fait que le paragraphe 77(5) lui-même se trouve à la partie 6, section 2. L'interprétation proposée par Haico aurait aussi des conséquences extrêmement différentes pour les propriétaires de navires, selon le régime de responsabilité qui s'appliquerait. Il n'est pas accepté que le législateur ait voulu un tel résultat, ni qu'un tel résultat est compatible avec l'objet général des parties 6 et 7 de la LRMM.

[114]       À la lumière de ce qui précède, il est conclu que les propriétaires de navires ne peuvent pas faire une demande d'indemnisation à l'administrateur en vertu du paragraphe 103(1) de la LRMM. La demande d'indemnisation de Haico est rejetée sans égard au régime de responsabilité applicable au navire, indépendamment du fait que la demande d'indemnisation ait été présentée par une personne dans un État étranger,[20] du bien-fondé du moyen de défense invoqué par Haico contre la responsabilité, ou de la question de savoir si les frais réclamés par Haico ont été engagés pour la prise de mesures raisonnables en réponse à la pollution contre les hydrocarbures.

CLÔTURE

[115]       Dans votre examen de la présente lettre de rejet, veuillez prendre note des choix et des délais suivants énoncés à l'article 106 de la LRMM.

[116]       En vertu du paragraphe 106(2) de la LRMM, le rejet d'une demande d'indemnisation peut être porté en appel devant la Cour d'amirauté, dans les 60 jours suivant la réception de l'avis de rejet de la demande d'indemnisation. Si vous souhaitez interjeter appel du rejet, conformément aux règles 335(c), 337 et 338 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, vous pouvez le faire en déposant un avis d'appel établi selon la formule 337. Vous devez le signifier à l'administrateur, qui sera désigné à titre d'intimé dans l'appel. En vertu des règles 317 et 350 des Règles des Cours fédérales, vous pouvez demander une copie certifiée conforme des documents de l'office fédéral.

Je vous prie d'agréer mes meilleures salutations.

L'administrateur adjoint de la Caisse d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires,

 

Mark A.M. Gauthier, B.A., LL.B.



[1] Les renvois à d'autres documents justificatifs dans les notes en bas de page de l'original ont été omis.

[2] L'Arrow a heurté un rocher dans la baie Chedabucto, en Nouvelle-Écosse, le 4 février 1970, causant le déversement de plus de 10 000 tonnes de mazout lourd dans les eaux canadiennes. Ensuite, le 20 septembre 1970, l'Irving Whale, un chaland transportant 4 200 tonnes de mazout lourd, a coulé dans le golfe du Saint-Laurent, au large de l'Île-du-Prince-Édouard.

[3] L'article 77 de la LRMM rend les propriétaires de navires responsables en général, tandis que l'article 76 limite son application aux navires qui ne sont pas couverts par la Convention de 1992 sur la responsabilité civile ou la Convention sur les hydrocarbures de soute.

[4] Sauf indication contraire, toutes les références à la LRMM dans la présente lettre se rapportent à la version de la loi qui était en vigueur au moment de l'incident.

[5] Une fois qu'un demandeur a été indemnisé, l'administrateur devient subrogé dans les droits du demandeur et doit prendre des mesures de recouvrement contre le propriétaire de navire, notamment en intentant une action en justice, s'il y a lieu.

[6] C'est-à-dire les paragraphes dont les titres indiquent qu'ils imposent la responsabilité et dont le principal objet est de rendre les propriétaires de navires responsables en cas d'incident de pollution par les hydrocarbures.

[7] Il est à noter que le paragraphe 77(5) permet à un propriétaire de faire une demande d'indemnisation contre les garanties données à l'égard du navire (c.-à-d. les propres fonds du propriétaire), mais qu'il ne donne pas le droit à un propriétaire d'obtenir une indemnisation des autres parties.

[8] Même lorsqu'un propriétaire de navire peut se dégager de sa responsabilité en établissant un moyen de défense, ou lorsque le propriétaire ou le navire polluant est inconnu, cela est quand même vrai, ce qui permet aux demandeurs non propriétaires d'obtenir sans entrave une indemnisation en vertu du paragraphe 103(1).

[9] Un exemple d'un problème potentiel concernant le caractère volontaire, dans les faits en l'espèce, se trouve à l'article 91.2 de l'Environmental Management Act, SBC 2003, c. 53 (l'« EMA ») de la Colombie-Britannique, qui oblige une personne ayant [traduction] « la possession, la charge ou le contrôle » d'une « substance ou chose qui pourrait avoir des conséquences préjudiciables sur l'environnement, la santé humaine ou l'infrastructure » à prendre des mesures d'intervention, indépendamment du fait que cette substance ou chose ait effectivement pénétré dans l'environnement ou qu'elle présente un risque imminent de le faire (voir à l'art. 91 de l'EMA les définitions des termes cités dans cette note). De nombreuses autres provinces ont adopté des lois semblables. Un autre problème concernant le caractère volontaire qui se pose couramment (mais pas dans les faits en l'espèce) émane des ordres donnés par le ministre des Pêches et des Océans en vertu de l'alinéa 180(1)c) de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, 2001, L.C. 2001, ch. 26. Il faudrait faire un examen approfondi pour déterminer si Haico a engagé des frais « volontairement ».

[10] Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, citant Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2nd ed. (Toronto: Butterworths, 1983), page 87.

[11] Ibid.

[12] Voir le Règlement sur l'intervention environnementale, DORS/2019-252, art. 2. Sous réserve d'exceptions limitées, les pétroliers d'une jauge brute de 150 ou plus, les bâtiments qui transportent des hydrocarbures et qui remorquent au moins un autre bâtiment transportant des hydrocarbures et dont la jauge brute combinée des bâtiments est de 150 ou plus, et tous les autres bâtiments d'une jauge brute de 400 ou plus qui transportent des hydrocarbures comme cargaison ou combustible sont tenus de conclure une entente permanente avec un organisme d'intervention. Le navire excédait ce seuil minimum, et il était vraisemblablement tenu de conclure une telle entente.

[13] Comme il a été noté précédemment, une assurance responsabilité est obligatoire pour les navires d'une jauge brute de 1 000 ou plus, et de nombreux plus petits navires commerciaux souscrivent volontairement à une telle assurance.

[14] Le principe du « pollueur-payeur » a été mentionné à plusieurs reprises lors des débats parlementaires ayant mené à l'adoption des dernières modifications importantes aux dispositions pertinentes de la LRMM avant l'incident. Voir Débats de la Chambre des communes, 40e Législature, 2e Session, n° 018 (25 février 2009) pp. 974-978, 983-985 : « Notre gouvernement estime que les pollueurs devraient être obligés de répondre de leurs actes. En vertu de ce projet de loi, ils le seront. » (Brian Jean, p. 976). Voir aussi Débats de la Chambre des communes, 40e Législature, 2e Session, n° 036 (30 mars 2009) pp. 2108-2115.

[15] Les Fonds internationaux comprennent le Fonds international d'indemnisation de 1992 pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures et le Fonds complémentaire international d'indemnisation de 2003 pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, établis en vertu du Protocole de 2003 à la Convention internationale de 1992 portant création d'un Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures. Le second comprend les mêmes genres de dommages que le premier, dans la mesure où la limite d'indemnisation du premier a été atteinte.

[16] Certaines limitations qui ne sont pas pertinentes pour les besoins de la présente lettre de décision sont énoncées dans d'autres dispositions.

[17] Les moyens de défense prévus à l'article III.2 de la Convention de 1992 sur la responsabilité civile sont semblables à ceux énoncés au paragraphe 77(3) de la LRMM.

[18] Il n'y a aucune disposition explicite analogue dans la partie 7 de la LRMM.

[19] Il est plausible que le paragraphe 77(5) de la LRMM ait été inspiré du paragraphe V.8 de la Convention de 1992 sur la responsabilité civile ou d'une convention antérieure.

[20] Peu de temps avant que la présente lettre de décision ne soit finalisée, Haico a envoyé une lettre indiquant qu'une partie ou la totalité de sa demande d'indemnisation provenait d'un ou plusieurs assureurs basés à Londres, en Angleterre. Cela soulève donc la question de savoir si ces portions de la demande d'indemnisation de Haico pourraient être exclues en vertu du paragraphe 103(1), au motif qu'elles ont été présentées par « une personne dans un État étranger ».

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