Lettres d'offres et de décisions

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LETTRE D’OFFRE

 

Ottawa, le 27 juillet 2023

Dossier de la CIDPHN : 120-929-C1

Dossier de la GCC :

 

PAR COURRIEL

Directrice principale de la gestion des incidents

Garde côtière canadienne

200, rue Kent

Ottawa (Ontario)  K1A 0E6

 

 

OBJET : Navire à moteur Mini Fusion –– Baie Doctor (Colombie-Britannique)

    Date de signalement de l'incident : 2020-10-28

 

SOMMAIRE ET OFFRE D'INDEMNITÉ

[1]               Cette lettre est en réponse à une demande d'indemnisation présentée par la Garde côtière canadienne (la « GCC ») concernant un navire à coque en acier de 185 pieds immatriculé à l'étranger sous le nom de Mini Fusion (le « navire »). Ce navire a été signalé à la GCC en octobre 2020, ce qui a mené à une intervention.

[2]               Le 24 octobre 2022, le bureau de l'administrateur de la Caisse d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires (la « Caisse ») a reçu une demande d'indemnisation de la GCC au nom de l'administrateur. En vertu des articles 101 et 103 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6 (la « LRMM »), la GCC a réclamé la somme de 1 083 551,42 $ pour les frais des mesures d'intervention qu'elle a prises.

[3]               La demande d'indemnisation a été évaluée et une décision a été prise concernant les frais réclamés. Par la présente, une offre d'indemnité est faite à la GCC conformément aux articles 105 et 106 de la LRMM.

[4]               La somme de 88 878,11 $ (l'« offre ») est offerte à la GCC en réponse à sa demande d'indemnisation, plus les intérêts prévus par la loi qui seront calculés à la date à laquelle la somme offerte sera versée, en conformité avec l'article 116 de la LRMM. Les motifs de l'offre sont présentés ci-après, en plus d'une description de la demande d'indemnisation.

DEMANDE D'INDEMNISATION REÇUE

[5]               Les frais réclamés par la GCC sont résumés comme suit :

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Figure 1 – Sommaire des frais de la GCC

[6]               La demande d'indemnisation comprend un exposé qui décrit les événements relatifs à l'incident. Elle comprend aussi des documents justifiant les frais réclamés par la GCC.

 

L'exposé

[7]               D'après l'exposé, le 28 octobre 2022, les responsables du Programme des navires préoccupants (le « PNP ») de la GCC ont été avisés que le Mini Fusion donnait de la gîte.[1] La personne qui a fait ce signalement était apparentée à l'ancien propriétaire canadien du navire. Les responsables du PNP ont avisé le personnel d'intervention environnementale de la GCC, afin qu'une évaluation puisse être faite pour déterminer si le navire présentait une menace de pollution par les hydrocarbures.

[8]               Le 19 novembre 2020, un expert maritime engagé par la GCC est monté à bord du navire et l'a inspecté. L'inspection a révélé qu'il y avait un peu d'eau dans la cale du navire. Il a été déterminé que l'inclinaison du navire était probablement due à une infiltration d'eau par un trou dans un réservoir latéral au milieu du côté gauche du navire. Ce réservoir a été vidé d'eau par pompage. Aucun signe évident montrant que l'eau s'infiltrait encore dans le navire n'a été constaté. L'extérieur de la coque a été marqué d'une ligne pour vérifier plus tard l'inclinaison du navire.

[9]               Le 20 novembre 2020, la GCC est retournée sur les lieux. L'eau dans le réservoir latéral était revenue au même niveau qu'avant. La GCC a conclu que l'eau s'y était infiltrée à nouveau, mais que le navire ne s'inclinerait pas davantage puisque le niveau d'eau dans le réservoir n'irait pas plus haut.

[10]           L'expert maritime a fourni des rapports à la GCC les 9 et 26 décembre 2020, dans lesquels il a indiqué qu'il y avait des quantités d'hydrocarbures à bord du navire.

[11]           L'expert maritime a conclu que, dans l'état où il était, le navire présentait une menace immédiate pour l'environnement, et il a recommandé de déplacer le navire à un lieu d'amarrage sûr, afin de remédier à la dégradation de ses amarres et de pouvoir mieux examiner l'état de détérioration de la coque.

[12]           La GCC a choisi plutôt de remplacer les amarres du navire à l'endroit où il était ancré. Les amarres ont été remplacées les 6 et 7 janvier 2021.

[13]           Le 16 janvier 2021, des plongeurs de la GCC ont fait une inspection sous-marine de la coque du navire. L'inspection a révélé que la coque était couverte de salissures et très corrodée. Cependant, les plongeurs n'ont trouvé aucun signe visible de trous, de fissures ou de brèches dans la coque.

[14]           Le rapport de l'inspection sous-marine a conclu qu'il était nécessaire d'examiner le navire plus à fond.

[15]           L'exposé indique qu'après l'inspection, la GCC a amorcé un processus pour engager des entrepreneurs afin d'enlever le gros des hydrocarbures du navire.

[16]           Le 9 juillet 2021, Marine Recycling Corporation a été engagé par contrat pour enlever le gros des hydrocarbures du navire. Le 30 juillet 2021, London Offshore Consultants a été engagé par contrat pour superviser l'opération.

[17]           Le 8 août 2021, les entrepreneurs sont arrivés sur les lieux, et l'opération d'enlèvement a débuté le 9 août.

[18]           Le 18 août 2021, le processus d'enlèvement du gros des hydrocarbures était terminé.[2]

CONSTATATIONS ET CONCLUSIONS

La demande d'indemnisation est partiellement admissible

[19]           La GCC est un demandeur admissible. Les événements pertinents se sont produits dans la mer territoriale ou les eaux intérieures du Canada pour l'application de l'article 103 de la LRMM et ont causé de la pollution par les hydrocarbures provenant d'un navire.

[20]           Certains frais réclamés par la GCC ont été engagés pour intervenir en réponse à un incident de pollution par les hydrocarbures causé par un navire. De tels frais peuvent être indemnisables.

[21]           La demande d'indemnisation est donc admissible, sous réserve d'une évaluation visant à déterminer si les frais réclamés ont été engagés pour la prise de mesures raisonnables en réponse à un incident de pollution par les hydrocarbures causé par un navire et si la demande d'indemnisation a été présentée à temps.

 

L'historique incomplet du Mini Fusion

[22]           Les interactions entre le gouvernement fédéral du Canada et le Mini Fusion datent de longtemps. Certains éléments importants de ces interactions n'ont pas été documentés dans la demande d'indemnisation. Le dossier de la preuve est donc incomplet.

[23]           Le dossier montre que le navire, construit au Japon en 1990, est arrivé au Canada en octobre 2009. Il transportait des migrants tamouls et il a été intercepté et saisi par l'Agence des services frontaliers du Canada (l'« ASFC ») près de Port Renfrew.

[24]           L'ASFC a vendu le navire à un individu canadien. En 2012, cet individu a déplacé le navire jusqu'au chenal Waddington, dans la baie Doctor, qui fait partie de la baie Desolation. En 2019, le navire a été vendu de nouveau à Pacific Cargo Line, une société de l'Équateur.

[25]           L'historique des interactions entre la GCC et le Mini Fusion n'est pas documenté dans la demande d'indemnisation. Les documents internes de la GCC ne font aucune mention de ces interactions. Cependant, le rapport d'inspection produit par un expert maritime externe dit ce qui suit à la page 3 :

Text

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Figure 2 – Copie d'écran du rapport de Building Sea Marine

[Traduction du contenu de la figure 2 :]

Le navire est amarré dans la baie Doctor depuis environ six à huit ans. Durant ce temps, on a signalé que le propriétaire du navire n'a été présent et ne s'est occupé du navire que de façon plus ou moins sporadique. Plus récemment, on a signalé que la position du navire semble avoir changé et qu'il s'incline sur bâbord de façon notable. Il ne semble y avoir eu aucune intervention de la part des propriétaires du navire pour remédier au changement.

Au cours de la dernière année, la GCC a surveillé le navire de temps à autre, et elle a constaté la détérioration générale du navire et de ses amarres, l'absence d'entretien des cales et des amarres, ainsi que l'inclinaison du navire.

On a signalé que les propriétaires ont été présents il y a environ 10 à 12 mois et qu'ils semblent avoir fait des travaux pour préparer le navire en vue de le remorquer.

***

[26]           Les observations concernant les interactions que la GCC a eues dans le passé avec le Mini Fusion, y compris l'angle d'inclinaison du navire, ne sont pas incluses ni autrement décrites dans la demande d'indemnisation. Les événements qui ont amené la GCC à surveiller le navire en premier lieu ne sont pas documentés non plus.

[27]           L'exposé donne l'impression qu'un tiers a avisé la GCC de la situation du Mini Fusion le 28 octobre 2022 :

Figure 3 – Copie d'écran de l'exposé de la GCC – le nom de l'individu en question est caviardé

[Traduction du contenu de la figure 3 :]

Notification d'un incident

Le 28 octobre 2022, [...] a communiqué avec les responsables du Programme des navires préoccupants (le « PNP ») de la GCC et a signalé que le navire avait changé de position et qu'il avait commencé à s'incliner sur bâbord. [...] était inquiet qu'en raison de ce changement de position, le navire risquait de causer de la pollution. En conséquence, les responsables du PNP ont informé l'officier de service en intervention environnementale de la GCC, afin que le personnel d'intervention environnementale évalue le risque de pollution que posait le navire.

***

[28]           Il est conclu que les interactions entre la GCC et le navire ont commencé avant le 28 octobre 2022, et il n'est pas accepté que le Mini Fusion ne gîtait pas déjà à cette date. Cependant, la preuve ne permet pas de conclure que le navire gîtait depuis si longtemps que la demande d'indemnisation n'a pas été présentée à temps. Ce point est plutôt noté pour souligner que l'absence de preuve concernant l'historique des interactions de la GCC avec le navire a compliqué les tentatives de répondre à la demande d'indemnisation de façon appropriée.

 

L'état du Mini Fusion tel que documenté dans le rapport d'inspection

[29]           Le rapport d'inspection indique que, lorsque l'expert maritime a examiné le navire, la chaîne d'ancre et les amarres étaient dégradées de 25 à 30 %.[3] La preuve ne permet pas d'établir si cela représentait une menace sérieuse. Une marge de tolérance est généralement prévue lorsque des ancres sont installées à bord d'un navire. Dans ce cas-ci, il convient de noter qu'il n'y a aucune preuve que la dégradation de la chaîne d'ancre et des amarres excédait la marge de tolérance, et aucun renseignement n'a été fourni sur la nature précise des amarres.

[30]           Le rapport d'inspection indique qu'il y avait environ 12 000 litres de différents types d'hydrocarbures à bord du Mini Fusion.[4] Cela aurait pu justifier la prise de mesures visant à prévenir la pollution par les hydrocarbures, si d'autres éléments de preuve permettant d'établir l'existence d'un incident avaient été fournis.

[31]           Le rapport indique également que les réservoirs de ballast du navire étaient remplis d'eau à 75 %.

[32]           Le rapport d'inspection indique qu'il y avait un trou dans le réservoir de ballast latéral n° 2 du côté gauche du Mini Fusion. L'expert maritime l'a constaté après avoir fait vider ce réservoir et l'avoir examiné le lendemain. Le réservoir s'était rempli à nouveau, ce qui a montré qu'il y avait en quelque part un trou par lequel l'eau de mer s'y infiltrait. En l'absence de toute autre explication, il est accepté que ce trou était la cause de l'inclinaison du Mini Fusion.

[33]           Il est important de noter que, même s'il est clair qu'il y avait un trou dans le réservoir de ballast latéral no 2 du côté gauche du Mini Fusion, le navire était généralement stable. Avant l'arrivée de l'expert maritime, l'extérieur de la coque avait été marqué d'une ligne pour aider à suivre tout changement dans l'angle d'inclinaison du navire. Aucun changement n'a été constaté. Par la suite, la GCC a effectué des survols qui n'ont révélé aucun changement dans l'angle d'inclinaison du navire. D'après les conclusions du rapport d'inspection, l'inclinaison du navire n'était pas une source de préoccupation. Rien n'indique que l'angle d'inclinaison ait été mesuré.

[34]           Les conclusions du rapport d'inspection étaient les suivantes :

Text, letter

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Figure 4 – Copie d'écran du rapport de Building Sea Marine

[Traduction du contenu de la figure 4 :]

Il reste une grande quantité totale de carburant et d'huile à bord du Mini Fusion, qui se trouve dans une douzaine de réservoirs ainsi que dans les carters des machines, les boîtes à engrenages et les réservoirs des commandes hydrauliques.

De l'avis du soussigné, à moins que les propriétaires du navire ne fournissent un plan et un échéancier pour remédier aux [traduction] Aspects importants de l'état et de la navigabilité énumérés ci-haut, le Mini Fusion présente une menace immédiate et très réelle pour l'environnement et les eaux navigables de la C.-B.

Il est jugé raisonnable que le personnel d'intervention environnementale de la GCC et/ou les organismes associés à la GCC et à Transports Canada obligent les propriétaires du navire à présenter immédiatement un plan et un échéancier pour atténuer les menaces, comme il est indiqué dans ce rapport.

Il est fortement suggéré que le navire soit déplacé du lieu éloigné de la baie Desolation où il est présentement amarré, dès qu'il est raisonnablement possible de le faire, et qu'il soit amarré à un endroit sûr où le personnel se trouvant à terre pourra y accéder facilement pour mieux évaluer l'état du navire avec efficacité et commencer à enlever le carburant et l'huile qui se trouvent à bord, si cela est jugé nécessaire.

***

[35]           Ni l'exposé ni les éléments de preuve inclus dans la demande d'indemnisation n'indiquent que des tentatives aient été faites pour communiquer avec les propriétaires étrangers du navire ou pour les obliger à remédier aux problèmes de navigabilité du Mini Fusion.

[36]           De plus, la GCC n'a pas suivi à la lettre les recommandations de l'expert maritime. Au lieu de déplacer le Mini Fusion à un lieu d'amarrage sûr, la GCC a choisi de remplacer les amarres du navire et de continuer à l'inspecter à l'endroit éloigné où il se trouvait. Bien que ce choix ne soit pas expliqué dans les documents fournis, il est accepté qu'il était raisonnable.

 

L'inspection de la coque par une équipe de plongeurs de la GCC

[37]           La GCC a chargé une équipe de plongeurs de la base de Sea Island d'inspecter la coque du Mini Fusion.

[38]           La demande d'indemnisation comprend un rapport sur l'inspection sous-marine de la coque préparé par une équipe de plongeurs de la GCC. Ce rapport indique que des travaux préliminaires ont été effectués les 7 et 8 janvier 2021, afin de mesurer des points de données sur la coque avant de procéder à l'inspection elle-même. L'inspection sous-marine a eu lieu le 16 janvier 2021, et elle a été menée à l'aide de jauges d'épaisseur acoustiques pour poignet.

[39]           Le rapport indique que les plongeurs n'ont trouvé aucun signe visible de trous, de fissures ou de brèches attribuables à la corrosion ou à des dommages à la coque.

[40]           Les conclusions du rapport de l'inspection sous-marine étaient les suivantes :

Text, letter

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Figure 5 – Extrait du rapport d'inspection sous-marine de la GCC

***

[Traduction du contenu de la figure 5 :]

4.  Discussion et prochaines étapes

L'équipe de plongeurs de la GCC a pu prélever de petits échantillons sur différentes parties de la coque du navire. Elle n'a pas pu effectuer une inspection complète de toute la coque à cause de la très grande quantité de salissures. Il pourrait être nécessaire de faire un nettoyage complet de la coque afin de pouvoir mieux évaluer son état général. Les parties de la coque du navire où il était évident qu'il y avait beaucoup de corrosion par piqûres devraient être examinées plus à fond.

Un expert maritime devrait être consulté pour examiner les résultats des données de base initiales, afin de déterminer l'épaisseur d'acier restante de la coque du navire qui est permise et acceptable.

Une deuxième inspection sous-marine devrait être effectuée à une date ultérieure, afin de déterminer si des changements mesurables se sont produits depuis la première inspection. Cette inspection pourrait être menée par l'équipe de plongeurs de la base de la GCC de Richmond.

***

[41]           En bref, il n'a pas été conclu que le navire présentait un risque immédiat de pollution. Le rapport de l'inspection sous-marine ne va pas plus loin que de suggérer de faire d'autres examens.

[42]           Rien n'indique que d'autres examens aient été faits, comme il a été recommandé dans le rapport. Par conséquent, la preuve ne permet pas de conclure que le Mini Fusion présentait une menace immédiate pour l'environnement. L'exposé de la GCC semble concéder ce point : [traduction] « Cette inspection a confirmé que, même si la coque est gravement corrodée, le navire est stable pour le moment et il n'est pas en danger immédiat de couler. »

[43]           Il est accepté que la conclusion de la GCC à cet égard est exacte.

 

Conclusions concernant l'admissibilité

[44]           L'intervention de la GCC en réponse au Mini Fusion s'est déroulée en deux étapes : premièrement, tous les hydrocarbures ont été enlevés du navire sur place; deuxièmement, le navire lui-même a été remorqué et déconstruit.

[45]           Dans sa demande d'indemnisation à la Caisse, la GCC a réclamé seulement les frais qu'elle a engagés durant la première étape de son intervention (l'opération d'enlèvement des hydrocarbures) et non pas les frais qu'elle a engagés par la suite pour faire enlever et déconstruire le navire. Dans bien des cas, une telle répartition des frais est appropriée et suffisante pour que toutes les mesures d'élimination de la pollution par les hydrocarbures répondent aux exigences de la LRMM en matière d'indemnisation. Dans ce cas-ci, la répartition habituelle entre les mesures d'intervention en réponse à la pollution par les hydrocarbures et celles destinées purement à enlever une épave n'est pas le seul problème.

[46]           À l'origine, la GCC a traité le signalement de l'inclinaison du Mini Fusion comme le point de départ d'un incident de pollution par les hydrocarbures. Cependant, une question de fait reste à déterminer, soit celle de savoir si c'est au moment où la GCC a été avisée de l'inclinaison du Mini Fusion qu'elle s'est rendu compte que le navire pouvait constituer une menace. En ce qui concerne l'inclinaison, la preuve semble indiquer que cet incident a débuté un peu plus tôt, mais il est conclu que cette possibilité n'a aucun effet important sur le résultat. L'inclinaison n'était pas lointaine au point de causer un problème à l'égard de la période où la GCC a engagé des frais jusqu'à la tenue de l'inspection sous-marine, laquelle peut être attribuée à l'inclinaison du navire.

[47]           Ce qui a un effet important sur le résultat, cependant, c'est qu'en prenant des mesures appropriées, la GCC a établi que l'inclinaison ne posait pas en soi un problème. La preuve montre que les mesures prises pour évaluer la menace potentielle que présentait l'inclinaison et pour réamarrer le navire étaient raisonnables, et que ces mesures ont été suffisantes pour répondre à la menace (apparente). Les frais associés à ces mesures sont acceptés.

[48]           Dans son rapport d'inspection, l'expert maritime a envisagé la possibilité d'enlever les hydrocarbures du navire. Il est important de noter que l'expert maritime n'a pas conclu qu'une telle mesure était conseillée. Il a plutôt conclu qu'elle aurait pu l'être, vraisemblablement sous réserve des résultats d'autres évaluations. Rien n'indique qu'une quelconque évaluation ultérieure ait abouti à une telle conclusion. Par conséquent, la conclusion selon laquelle l'enlèvement des hydrocarbures n'était pas une mesure prise en réponse à l'inclinaison du navire est confirmée.

[49]           Il est donc établi que les frais engagés après l'inspection sous-marine ne représentaient pas des mesures raisonnables prises en réponse à l'inclinaison du navire. Cependant, cela ne met pas fin à l'évaluation de ces frais, car ils pourraient être justifiables d'une autre manière.

[50]           La preuve semble indiquer que la GCC a décidé de prendre des mesures pour enlever les hydrocarbures (et déconstruire le navire) en raison de la menace non imminente que présentait le navire à cause de la détérioration continue de sa coque. Cela pose un problème important lorsqu'il s'agit d'évaluer les demandes d'indemnisation faites en vertu de la LRMM, par opposition à la loi sur l'enlèvement des épaves.

[51]           Premièrement, il n'y avait aucune « menace grave et imminente » de pollution par les hydrocarbures, compte tenu des conclusions du rapport d'inspection. Deuxièmement, il semble n'y avoir eu aucun incident pertinent de pollution par les hydrocarbures.

[52]           En ce qui concerne la première question, il doit exister une « menace grave et imminente » pour qu'un demandeur puisse recouvrer auprès du propriétaire d'un navire les frais des mesures prises pour prévenir la pollution par les hydrocarbures. En 2018, la LRMM a été modifiée par l'ajout de dispositions permettant aux demandeurs d'être indemnisés par la Caisse dans certaines circonstances, même en l'absence d'une menace grave et imminente de pollution par les hydrocarbures.[5] En conséquence, l'opération d'enlèvement des hydrocarbures n'est pas nécessairement rejetée malgré l'absence d'une « menace grave et imminente » de pollution par les hydrocarbures.

[53]           La deuxième question pose un problème important en ce qui concerne les frais réclamés pour l'enlèvement du gros des hydrocarbures. En dépit des modifications apportées à la LRMM en 2018, il est quand même nécessaire qu'un incident identifiable se soit produit pour qu'une demande d'indemnisation soit admissible.[6]

[54]           Dans sa demande d'indemnisation, la GCC semble avoir engagé des frais décrits à l'article 71 de la LRMM.[7] L'article 71 prévoit que la responsabilité du propriétaire d'un navire en vertu de la Convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de soute (la « Convention sur les hydrocarbures de soute ») vise également les frais qui y sont décrits – y compris, par la voie de l'article 180 de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, L.C. 2001, ch. 26 (la « LMMC »), les mesures prises pour enlever le navire ou son contenu et en disposer, notamment par démantèlement ou destruction.

[55]           La responsabilité du propriétaire d'un navire en vertu de la Convention sur les hydrocarbures de soute est énoncée à l'article 3, lequel prévoit ce qui suit :

[56]           Bien que l'article 71 de la LRMM précise que la responsabilité du propriétaire d'un navire prévue par la Convention sur les hydrocarbures de soute vise également les frais associés à l'exercice des pouvoirs de la GCC en vertu de l'article 180 de la LMMC, il le fait en modifiant la Convention plutôt qu'en établissant un nouveau droit de recouvrement indépendant. L'article 3 de la Convention exige clairement l'existence d'un « incident », et rien dans l'article 71 de la LRMM ni dans les modifications apportées à celle-ci en 2018 n'a pour effet d'altérer cette exigence.

[57]           Il convient également de noter que le paragraphe 103(2) de la LRMM établit des délais pour présenter une demande d'indemnisation à l'administrateur, selon la date à laquelle les événements en cause ont commencé. Le paragraphe 103(2) est fondé sur l'existence d'un incident (décrit dans cette disposition comme un événement ou un événement constitué d'un ensemble de faits) :

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[58]           Pour que des mesures d'intervention soient indemnisables en vertu des dispositions pertinentes de la LRMM, elles doivent avoir été prises en réponse à un incident identifiable, ce qui peut inclure un événement ou un événement constitué d'un ensemble de faits qui entraînent un risque de rejet d'hydrocarbures.

[59]           Il est accepté que sans l'intervention de la GCC, le navire aurait fini par causer un rejet d'hydrocarbures, et que l'enlèvement des hydrocarbures a permis d'éviter cette menace non imminente. Cependant, ces conclusions à elles seules ne suffisent pas à faire entrer l'opération d'enlèvement du gros des hydrocarbures dans le champ d'application de la LRMM, car étant donné que les faits montrent que l'inclinaison du navire a été résolue séparément, il n'y a aucun incident apparent auquel les mesures d'enlèvement des hydrocarbures peuvent être attribuées.

[60]           Il est conclu que l'opération d'enlèvement du gros des hydrocarbures a été menée parce que le navire aurait fini par se corroder au point de causer un rejet d'hydrocarbures. Cependant, il en va de même pour tous les navires en mer. Il n'est donc pas accepté que la corrosion, qui aurait causé un rejet d'hydrocarbures à un moment indéterminé dans le futur, représente un incident.

[61]           Par ailleurs, même si cette corrosion représentait un incident, il s'agirait d'un « événement constitué d'un ensemble de faits ». Les navires se corrodent dans les environnements salins. La preuve montre que ce navire était amarré en eau salée au Canada depuis 2009. On peut présumer qu'il se trouvait dans un environnement marin bien avant cela. Même si la corrosion à elle seule constituait un incident, le premier de l'ensemble des faits s'est produit des décennies avant que la GCC ne présente sa demande d'indemnisation. Par conséquent, même si la corrosion du navire constituait un incident, les frais des mesures d'enlèvement du gros des hydrocarbures seraient rejetés parce que la demande d'indemnisation a été faite après l'expiration du délai énoncé au paragraphe 103(2) de la LRMM.

[62]             La partie de la demande d'indemnisation qui se rapporte à l'enlèvement du gros des hydrocarbures est donc rejetée.

 

ÉVALUATION DES ÉLÉMENTS DE LA DEMANDE D'INDEMNISATION

Annexe 2 : Services contractuels

[63]           La portion de la demande d'indemnisation relative aux services contractuels comprend le sommaire suivant des frais engagés :

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Figure 6 – Sommaire des frais relatifs aux services contractuels

[64]           Jepson Mobile Booming a réamarré le navire après son inspection par l'expert maritime. Dans son rapport, l'expert maritime n'a pas conclu que les amarres devaient être remplacées (c.-à-d. qu'elles n'étaient pas détériorées au point de présenter un risque). Ces frais sont quand même acceptés, car les mesures associées ont évité de devoir déplacer le navire à un lieu sûr et ont probablement permis d'économiser de l'argent. Cette partie de la demande d'indemnisation est acceptée en entier.

[65]           L'inspection menée par Building Sea Marine est aussi acceptée. Cette inspection a été commandée pour enquêter sur un changement dans l'état du navire. Bien qu'il se soit avéré que l'inclinaison du navire ne présentait aucune menace, ces frais ont été engagés pour la prise de mesures raisonnables en réponse à une nouvelle menace apparente. Cette partie de la demande d'indemnisation est acceptée en entier.

[66]           Les frais des services contractuels fournis par Marine Recycling Corp. et London Offshore Consultants sont rejetés en entier. Ces frais ont été engagés pour mener l'opération d'enlèvement du gros des hydrocarbures. Pour les raisons expliquées ci-haut, ces frais ne sont pas indemnisables.

Annexe 3 : Déplacements

[67]           Des frais de déplacement ont été réclamés pour dix membres du personnel de la GCC. Ces frais sont justifiés par 67 pages de relevés de dépenses.

[68]           En raison du lieu éloigné où se trouvait le navire, les déplacements ont été à la fois inévitables et coûteux.

[69]           Cependant, les frais de déplacement acceptés sont limités à la période allant jusqu'à janvier 2021, lorsque le navire a été réamarré. Ces frais s'élèvent à 7 772,70 $, et ce montant est accepté.

[70]           Les déplacements effectués par la suite se rapportent à l'enlèvement du gros des hydrocarbures et les frais associés sont donc rejetés.

Annexes 4 et 5 : Salaires et heures de travail supplémentaires de la GCC

[71]           Des frais de salaire et d'heures de travail supplémentaires ont été réclamés pour neuf membres du personnel de la GCC.

[72]           Les frais de salaire réclamés pour l'intervention et les évaluations initiales sont jugés raisonnables et acceptés. Ces frais s'élèvent à 12 904,50 $. Les frais des heures de travail supplémentaires réclamés pour ces mêmes travaux, qui s'élèvent à 10 045,27 $, sont aussi jugés raisonnables et acceptés.

[73]           Les frais associés à l'enlèvement du gros des hydrocarbures sont rejetés.

Annexes 11 et 12 : Équipement de lutte contre la pollution et véhicules

[74]           En raison du lieu éloigné où se trouvait le navire, la GCC a dû déployer de l'équipement coûteux pour se rendre à cet endroit.

[75]           La GCC a utilisé deux bateaux de lutte contre la pollution de classe III (PRV III) pour aider à inspecter le navire. Le contenu des registres fournis à la Caisse décrivant l'usage de ces bateaux est si limité qu'il ne permet pas de reconstituer exactement quelles activités ont été menées. Les frais associés sont quand même acceptés. La décision d'utiliser deux bateaux PRV III pour effectuer l'inspection initiale était appropriée et nécessaire. Cette partie de la demande d'indemnisation représente l'usage des bateaux PRV III pendant huit jours, au tarif de 4 209,50 $ par jour. Les frais réclamés pour cette partie de la demande d'indemnisation s'élèvent à 33 676,00 $ et sont acceptés en entier.

[76]           De plus, un bateau PRV III a été utilisé le 7 janvier 2021 afin de ramener le personnel d'intervention environnementale de la GCC sur les lieux pour réamarrer le navire. Une embarcation pneumatique à coque rigide a aussi été utilisée ce jour-là. La GCC a réclamé les frais d'usage du bateau PRV III pendant une journée (4 209,50 $) et les frais d'usage de l'embarcation pneumatique à coque rigide pendant quatre jours (391,62 $ par jour). Les frais réclamés pour cette partie de la demande d'indemnisation s'élèvent à 5 775,98 $ et sont acceptés en entier.

[77]           La GCC a aussi réclamé des frais pour l'usage d'équipement de lutte contre la pollution durant l'opération d'enlèvement du gros des hydrocarbures. Les frais associés à l'enlèvement du gros des hydrocarbures ont été rejetés pour les raisons indiquées ci-haut.

[78]           La GCC a réclamé des frais d'usage de véhicules pendant huit jours, soit du 18 au 21 novembre 2020 et du 5 au 8 janvier 2021, au tarif de 65,57 $ par jour. Les frais relatifs à cette partie de la demande d'indemnisation s'élèvent à 524,56 $ et sont acceptés. Il convient de noter que ce montant est plus élevé que celui que la GCC a réclamé et qu'elle a indiqué dans son sommaire des frais (voir la figure 1).

[79]           La GCC a aussi réclamé des frais d'usage d'un véhicule durant l'opération d'enlèvement du gros des hydrocarbures. Ces frais sont rejetés pour les même raisons indiquées ci-haut.

Annexe 13 : Administration

[80]           La GCC a appliqué un taux de 3,09 % aux frais de salaire réclamés, sans compter le régime d'avantages sociaux des employés (RASE), et aux frais de déplacement réclamés. Ce taux a été convenu dans le passé entre la GCC et l'administrateur comme formule pour indemniser la GCC des frais d'administration associés à ses interventions en réponse à la pollution par les hydrocarbures.

[81]           Compte tenu des réductions qui ont été apportées aux frais de salaire et aux frais de déplacement réclamés, les frais d'administration ont été recalculés et sont acceptés au montant de 554,15 $.

SOMMAIRE DE L'OFFRE ET CONCLUSION

[82]           Le tableau ci-dessous présente un sommaire des frais réclamés et des frais acceptés :

Annexe

Frais réclamés

Frais acceptés

Annexe 2 - Services contratuels

961 668,65 $

17 430,95 $

Annexe 3 - Déplacements

15 739,13 $

7 966,70 $

Annexe 4 - Salaires

19 642,84 $

12 904,50 $

Annexe 5 - Heures de travail supplémentaires

19 227,30 $

10 045,27 $

Annexe 11 - Équipement de lutte contre la pollution

64 708,98 $

39 451,98 $

Annexe 12 - Véhicules

393,43 $

524,56 $

Annexe 13 - Administration

1 027,48 $

554,15 $

Totaux

1 083 551,42 $

88 878,11 $

Tableau 1 – Sommaire des frais réclamés et des frais acceptés

[83]           Le montant des frais acceptés s'élève à 88 878,11 $. Si l'offre est acceptée, ce montant sera payé en plus des intérêts prévus par la loi qui seront calculés à la date du paiement.

***

[84]           Dans votre examen de l'offre, veuillez prendre note des choix et des délais suivants énoncés à l'article 106 de la LRMM.

[85]           Vous disposez d'un délai de 60 jours, à compter de la réception de l'offre, pour aviser le soussigné si vous l'acceptez. Vous pouvez nous informer de votre acceptation de l'offre par tout moyen de communication, au plus tard à 16 h 30 (heure de l'Est) le dernier jour du délai. Si vous acceptez l'offre, la somme offerte vous sera versée sans tarder.

[86]           Autrement, vous pouvez, dans les 60 jours suivant la réception de l'offre, interjeter appel devant la Cour fédérale. Si vous souhaitez interjeter appel de l'offre, conformément aux règles 335(c), 337 et 338 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, vous pouvez le faire en déposant un avis d'appel établi selon la formule 337. Vous devez le signifier à l'administrateur, qui sera désigné à titre d'intimé dans l'appel. En vertu des règles 317 et 350 des Règles des Cours fédérales, vous pouvez demander une copie certifiée conforme des documents de l'office fédéral.

[87]           La LRMM prévoit que si nous ne sommes pas avisés de votre choix dans le délai de 60 jours, vous serez présumé avoir refusé l'offre. Aucune autre offre ne sera faite.

[88]           Enfin, lorsque le demandeur accepte l'offre d'indemnité, l’administrateur devient subrogé dans les droits du demandeur relativement à l'objet de la demande d'indemnisation. Le demandeur doit alors cesser tous ses efforts de recouvrement, et il doit coopérer avec la Caisse dans ses efforts pour recouvrer par subrogation la somme qu'elle a versée.

Je vous prie d'agréer mes meilleures salutations.

L'administrateur de la Caisse d'indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires,

 

Mark A.M. Gauthier, B.A., LL.B.

 



[1] Dans son exposé, la GCC ne dit pas expressément si ce signalement a marqué le début de son intervention. Pour les raisons indiquées plus loin dans la présente lettre, il a été déterminé que la GCC a eu affaire à ce navire dans le passé, mais aucun détail à ce sujet n'a été fourni à la Caisse.

[2] Après l'enlèvement des hydrocarbures, le navire a été transféré au PNP de la GCC. Il a été placé sur un chaland, remorqué et finalement déconstruit.

[3] Dans la partie intitulée [traduction] « Aspects importants de l'état et de la navigabilité », au point 6, le rapport indique que les amarres du Mini Fusion s'étaient dégradées de 25 à 30 % depuis qu'il avait été placé dans la baie Doctor. Cela n'est pas la même chose que de conclure à une dégradation générale de 25 à 30 %. Dans son rapport, l'expert maritime n'explique pas comment il a déterminé le degré de dégradation des amarres depuis que le navire avait été placé dans la baie Doctor, par opposition à une dégradation générale. Il est donc conclu que les amarres se sont dégradées de 25 à 30 % en général, et non pas depuis l'arrivée du navire dans la baie Doctor.

[4] D'autres documents datés plus tard montrent que la quantité d'hydrocarbures à bord du navire était encore plus grande.

[5] Voir, par exemple, le paragraphe 71(2) de la LRMM, qui prévoit que le propriétaire d'un navire n'est pas responsable des frais en l'absence d'une menace « grave et imminente », mais qui, en corrélation avec les paragraphes 101(1.1) et 103(1.1), permet d'être indemnisé de certains frais par la Caisse.

[6] Il s'agit d'un cas auquel s'applique la Convention sur les hydrocarbures de soute, dans laquelle « Événement signifie tout fait ou tout ensemble de faits ayant la même origine et dont résulte un dommage par pollution ou qui constitue une menace grave et imminente de dommage par pollution. » Dans la présente lettre, le mot « incident » est parfois employé comme forme abrégée de « tout fait ou tout ensemble de faits », en accord avec la LRMM et les conventions auxquelles celle-ci donne force de loi.

[7] La question de savoir quel régime de responsabilité s'applique au navire est compliquée. Comme il est expliqué plus loin dans la présente lettre, dans la mesure où la corrosion du navire constitue un incident, cet incident comprend un ensemble de faits dont l'origine est lointaine. La Convention sur les hydrocarbures de soute est en vigueur au Canada seulement depuis le 23 juin 2009. On pourrait donc faire valoir que la Convention sur les hydrocarbures de soute ne s'applique pas à cet incident potentiel. Cette question est laissée de côté car, si tel était le cas, les parties de la demande d'indemnisation qui sont en cause seraient prescrites.

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